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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Naurissane, Reilhac, Pétiniaud, de l’autre, représentaient les tendances assez différentes.
    Claude, si maître de lui jusqu’à ce moment, contenait mal son animation. Toute la ville, d’ailleurs, se prenait d’une fébrilité non plus menaçante mais joyeuse. On entendait parler depuis si longtemps de ces États généraux, promis, remis, éloignés, rapprochés, que l’on était arrivé à n’y plus croire malgré les dernières assurances. Cela se faisait tout de même ! Le mercier Jourdan, d’ordinaire fort peu expansif, en donnait des tapes de joie à Bernard désolé de ne point participer à ce grand acte. Un an et demi de plus, et Bernard eût été lui aussi électeur.
    « Tu participeras à la suite, mon garçon, lui dit Jourdan. Nous aurons bientôt une Constitution, comme l’Amérique. »
    Ce sentiment de victoire, qui animait la bourgeoisie triomphante, le menu peuple lui-même la ressentait sous la forme d’une vaste et confuse espérance. Il attendait des « Messieurs » que l’on allait envoyer à Versailles l’avènement d’une sorte d’âge d’or. Il eût été, au demeurant, bien en peine de le définir, car il ne pâtissait guère du régime, lui, en temps normal. C’étaient les bourgeois moyens et petits, les gens des campagnes, que les impositions écrasaient. En ville, le bas peuple ne soufrait pas de sa condition, simplement des disettes : fléau séculaire dont l’intendant Turgot lui-même n’avait pu venir à bout. Il était impossible de faire circuler les grains des régions riches vers les provinces peu productrices comme le Limousin, pays d’élevage, non de culture. Le remède à ce mal : suppression des barrières, unification administrative du royaume, figurait dans le cahier de doléances auquel les six délégués du tiers ordre travaillaient encore.
    L’esprit généreux de Pétiniaud-Beaupeyrat, grand honnête homme, avait beaucoup facilité l’ajustement des intérêts contraires. Claude, de son côté, s’était montré aussi souple que l’on pouvait s’y attendre, plein de diplomatie, évitant des éclats entre Dumas, très dogmatique, et Louis Naurissane, vite emporté. L’entente complète ne tarderait plus. Il rédigeait hâtivement un projet définitif. Il dit à Lise, dans un moment d’abandon un peu nerveux, que cette rédaction serait sûrement adoptée par l’ensemble des électeurs. En conséquence de quoi, il avait les plus fortes chances d’être lui-même député à Versailles avec trois autres délégués.
    « C’est une occasion inespérée, comprenez-vous, ma chère amie ? On ne saurait imaginer ce qui adviendra, mais fort probablement il sortira des États généraux une assemblée permanente dont les membres seront, sans aucun doute, choisis parmi les députés. Notre temps est venu, un avenir s’ouvre enfin. Peut-être serez-vous bientôt l’épouse d’un personnage, ajouta-t-il avec un sourire hésitant que Lise souffla comme une chandelle.
    — Je m’en soucie fort peu, figurez-vous. Je suis une femme. Les hommes ont besoin de jouer à quelque chose pour se donner le sentiment d’être quelqu’un. Jouez à devenir ministre, si cela vous amuse. »
    Il la regarda longuement, l’air triste.
    « Vous êtes déconcertante, mon amie. Rien ne vous intéresse donc ?
    — Vous posez toujours des questions, répliqua-t-elle d’un ton agacé. Occupez-vous de vos intrigues, laissez-moi en paix. »
    Elle le sentit sur le point de répondre. Il n’avait pas le temps de se lancer dans une discussion. Il secoua la tête et sortit.
    Le lundi 16 mars, à l’aube il était debout, n’ayant guère dormi. Bientôt, M. Dupré arriva de Thias. M. Mounier survint comme ils finissaient de déjeuner tous les trois. Ils partirent ensemble, avec Lise qui les suivit par devoir. Elle n’avait aucune envie d’assister à cette assemblée, mais ne pouvait s’en abstenir. La matinée, très fraîche encore, belle, ajoutait sa gaieté à l’animation inhabituelle des rues. Outre les électeurs envoyés par les assemblées primaires, des curieux descendaient en nombre de la ville haute ou montaient de la « Cité », vers ce que l’on appelait autrefois « l’Entre-deux-Villes », à l’époque où chacune de ces deux agglomérations sœurs, et souvent ennemies, s’enfermait sourcilleusement dans son corset de remparts. Du haut de ceux-ci, les habitants de Limoges-Château, fidèles à leur maître anglais, avaient

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