Lancelot du Lac
défenseur, ne serait-elle pas quitte du jugement qui l’a condamnée ? – Je n’en sais rien, seigneur chevalier, répondit-elle. – Se trouve-t-elle loin d’ici ? – Seigneur, il n’y a que six lieues anglaises. Si tu te levais demain de bon matin, tu y serais avant la première heure. – Et où peut-on la trouver ? – Au château de Flœgo. Ce chemin y mène tout droit si tu ne le quittes pas. » Lancelot se remit en selle. « Je te remercie et te recommande à Dieu, jeune fille », dit-il. Et, la laissant à sa peine, il partit à vive allure.
Bientôt, au sortir de la forêt, il aperçut en face de lui les bâtiments d’un monastère et quitta son chemin pour aller dans sa direction, pensant qu’il pourrait y loger pour la nuit. À la porte, étaient assis quatre frères qui venaient de chanter les complies et prenaient le frais en attendant d’aller dormir. Ils se levèrent à son arrivée pour l’aider à descendre de cheval, lui souhaitèrent la bienvenue, le firent entrer et lui demandèrent s’il avait soupé. Il répondit qu’il n’avait rien mangé de la journée. Alors, ils dressèrent la table et préparèrent ce qu’il fallait, pendant que Lancelot allait se recueillir à la chapelle.
Comme il se disposait à dire une prière, il remarqua la grille du chœur, en argent, richement ornée de petites fleurs d’or, d’oiseaux et de bêtes, et derrière, cinq chevaliers bien vivants, en armes, coiffés du heaume, l’épée en main, prêts à se défendre, comme s’ils s’attendaient à une attaque. Lancelot fut fort intrigué. Il se redressa aussitôt, marcha vers la grille et salua les chevaliers. Ceux-ci lui souhaitèrent la bienvenue. Il pénétra alors à l’intérieur par un portillon aménagé et aperçut, près des chevaliers, un tombeau d’une valeur inestimable, tout en or fin et incrusté de pierres précieuses d’une telle beauté qu’il en demeura stupéfait. Se demandant émerveillé quel pouvait être celui qui avait un tombeau si majestueux et si somptueux – il ne pouvait s’agir que d’un roi ou d’un prince, étant donné la richesse et la finesse de l’ornementation et l’abondance de l’or –, Lancelot interrogea les chevaliers. « Seigneur, répondit l’un d’eux, nous sommes les gardiens du corps qui gît dans cette sépulture afin que nul ne puisse l’enlever d’ici. Nous sommes cinq pour le garder de jour, et cinq autres assurent de nuit le même service. – Pourquoi donc avez-vous peur qu’on l’emporte ? – Seigneur, parce qu’un des frères qui est ici, et qui est d’une grande sagesse, ayant un peu le don de prédiction, nous a assuré tout récemment qu’un chevalier viendrait en ces lieux, l’emporterait de force et l’emmènerait hors du pays. Et nous, qui sommes de cette terre, préférerions mourir plutôt que de nous le voir ravir. Aussi le gardons-nous avec vigilance, car le bon frère nous a dit que l’arrivée de ce chevalier était imminente. »
Lancelot, de plus en plus intrigué, murmura comme pour lui-même : « Il était sûrement un noble prince, celui pour qui on a construit un si magnifique tombeau. – Certes, acquiesça l’un des chevaliers. Il fut un homme noble et puissant, l’un des meilleurs de ce siècle, mais aussi l’homme le plus sage qu’on eût pu trouver. – Par Dieu, qui était cet homme ? – Seigneur, si tu sais lire, tu peux le voir, car son nom est inscrit sur la pierre tombale. »
Lancelot se pencha et lut cette inscription : « Ci-gît Galehot, le fils de la Géante, seigneur des Îles Lointaines, qui trépassa par affection pour Lancelot du Lac. » Lancelot n’en put supporter davantage. Comme foudroyé, il tomba sans connaissance et demeura étendu sur le sol sans prononcer une parole. Les chevaliers s’empressèrent pour le relever, ne comprenant pas sa faiblesse soudaine. Revenu à lui, Lancelot se mit à se lamenter : « Hélas ! Quelle douleur et quelle perte ! » s’écria-t-il, en frappant ses poings l’un contre l’autre, égratignant son visage et le mettant en sang, s’arrachant les cheveux, à la consternation des chevaliers ne sachant que faire pour le calmer. Il cessa soudain de pleurer, mais il se mit à se frapper la tête et la poitrine à coups de poing, s’injuriant et maudissant l’heure de sa naissance. « Ah, Dieu ! quel dommage et quelle perte que celle de l’homme de bien le plus parfait du monde, mort à cause du plus vil et du
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