Lancelot du Lac
dans une salle basse à peine éclairée par une petite lucarne. Sur le sol, ils remarquèrent une forme revêtue d’une armure noire, et Lancelot reconnut celui qui l’avait capturé quand il tenait en main la lance ensorcelée. « Debout, maudit ! s’écria-t-il en tirant son épée. Tes sortilèges n’ont plus de prise sur nous, et il faut maintenant que tu nous rendes tes comptes ! »
Mais il n’y eut aucune réponse. Alors Gauvain se pencha, saisit la tête de l’homme noir et tira. Le heaume se disloqua, et les deux chevaliers s’aperçurent que l’armure était vide (57) .
12
La Fille du Roi Pêcheur
Il faisait très chaud le jour où Lancelot pénétra dans la forêt de Sarpenic. Il avait traversé de grandes plaines et franchi d’innombrables rivières depuis qu’il avait quitté Gauvain à Rigomer. Il n’avait pas voulu revenir à Kaerlion, car la honte le tenaillait de n’avoir pas réussi, malgré ses grandes prouesses, à lever les enchantements qui pesaient sur la cité. Comment aurait-il osé se présenter devant Guenièvre, sachant qu’il avait échoué au dernier moment et qu’il n’avait été sauvé du déshonneur que par la présence de Gauvain ? Certes, sa reconnaissance envers lui était immense et sincère, mais il ne pouvait se défendre d’une certaine amertume. Avant de revenir à la cour d’Arthur, il lui fallait accomplir quelque prodige de façon à se présenter la tête haute, sans risquer le moindre regard méprisant. Et il s’en allait au hasard à travers le royaume.
Il s’arrêta quelques instants auprès d’une fontaine pour s’y rafraîchir et se reposer. Puis il se remit en selle et suivit un chemin qui serpentait dans les bois. Il ne rencontra âme qui vive, mais vers le soir, alors qu’il arrivait à l’extrême limite de la forêt, il trouva, dans une clairière, une jeune fille assise sur un bloc de pierre et qui se lamentait, versant d’abondantes larmes.
Il s’arrêta et, mettant pied à terre, alla vers elle et la salua. « Jeune fille, dit-il, que Dieu te bénisse. Mais dis-moi quelle est la raison de ton chagrin. Si je puis y apporter quelque remède, je le ferai volontiers. – Seigneur chevalier, répondit-elle, si je pensais que ce fût utile, je te le dirais. Sinon, pourquoi t’importuner ? – En tout cas, tu n’en subirais pas de dommage. Dis-moi donc ce qui te tourmente. Je n’ai pas l’habitude de faire défaut à ceux qui me font confiance. – Par Dieu, seigneur, je vais donc te le dire. Il est bien connu que Méléagant, ce maudit félon, le fils du roi Baudemagu, alla un jour à la cour d’Arthur pour conquérir, s’il le pouvait, la reine Guenièvre. On sait bien qu’il le fit, en dépit de Kaï, le sénéchal, et que Lancelot du Lac la ramena. Mais ce qu’on sait moins, c’est qu’entre-temps, une demoiselle de bonne naissance, la sœur de Méléagant, avait fait évader Lancelot d’une tour où il avait été enfermé par traîtrise. Après sa délivrance, la demoiselle l’avait retenu chez elle jusqu’à sa guérison, car il avait beaucoup souffert en prison, puis elle l’avait laissé partir à la cour du roi Arthur où, finalement, il vainquit et tua Méléagant. Mais quand sa parenté apprit qu’elle avait tiré Lancelot de sa prison, elle fut accusée de l’avoir fait pour supprimer son frère. Forts de cette accusation, les parents de Méléagant se sont emparés d’elle et l’ont accusée solennellement, disant que si elle ne trouvait pas un champion pour défendre sa cause, ils feraient justice d’elle comme d’une sœur responsable de la mort de son frère. – Qu’est devenue la demoiselle ? demanda Lancelot. – Elle a fort bien réagi devant cette accusation. Elle a affirmé qu’elle trouverait un défenseur et elle a même fixé la date à laquelle arriverait un chevalier pour soutenir sa cause. Elle a alors envoyé des messagers pour en obtenir un, mais on n’en découvrit aucun qui osât prendre les armes contre ceux qui l’accusaient. Le délai s’achève demain, et elle n’a pas réussi à trouver un champion. On s’accorde donc à dire qu’elle est maintenant sous le coup du forfait qu’on lui impute, et on l’a déjà condamnée au bûcher pour demain matin. Cette pensée m’est intolérable ; c’est pourquoi je pleure, car c’est une des plus nobles demoiselles du monde, et son mérite est très grand. – Dis-moi, jeune fille, si elle trouvait demain un
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