Lancelot du Lac
plus misérable chevalier qui fut jamais ! »
Le désespoir de Lancelot était tel que les frères, attirés par les cris et les lamentations, se précipitèrent dans l’église et le regardèrent, stupéfaits. Tous lui demandèrent qui il était et d’où il venait, mais il ne pouvait même pas répondre tant sa douleur était profonde. Quand il se fut un peu calmé, il regarda de nouveau l’inscription, lut et relut avec désolation « qui trépassa par affection pour Lancelot du Lac ». Alors se disant que, puisque Galehot était mort à cause de lui, il était juste qu’il mourût lui-même à cause de Galehot, il franchit d’un bond la grille et sortit de l’église pour aller chercher son épée laissée à la porte, bien décidé à se la plonger dans la poitrine.
Il se saisit de l’arme. À ce moment, quelqu’un lui tira le bras en arrière. Il se retourna et vit une femme, d’allure très noble et très belle. Et la femme lui dit : « Que veux-tu faire et où vas-tu ainsi ? – Laisse-moi ! s’écria Lancelot. Laisse-moi mettre un terme à ma douleur, puisque désormais je n’aurai plus ni repos ni joie en ce monde ! – Dis-moi au moins la raison de ton désespoir ! » dit la femme d’une voix autoritaire. Mais Lancelot ne répondit rien, et grâce à sa souplesse, lui échappa promptement. Comme il se mettait à courir, la femme cria : « Au nom de l’être que tu aimes le plus au monde, arrête-toi ! Je t’interdis de fuir avant de m’avoir parlé ! » Lancelot s’arrêta net et se retourna. Alors, il la reconnut : c’était l’une des compagnes de la Dame du Lac, l’une de celles qui avaient si tendrement pris soin de lui lorsqu’il était tout jeune enfant. Il revint vers elle, la tête basse, et lui souhaita la bienvenue. « Par Dieu ! soupira-t-elle, j’attendais de toi un meilleur accueil ! Je vois que tu n’as pas changé : toujours aussi impulsif, aussi rapide à te mettre en colère. Je t’écoute. – Demoiselle, dit-il, je te prie, au nom de Dieu, de ne pas m’en tenir rigueur. Mon désespoir est si grand que seul Dieu pourrait me rendre courage. Jamais, crois-le bien, je ne retrouverai maintenant la joie, quoi qu’il advienne. – Mais si, Lancelot, mais si ! Voici ce que ma Dame me prie de te transmettre. – Parle, je t’écouterai volontiers puisque tu viens au nom de celle à qui je dois tout.
— Ma Dame désire que tu fasses enlever le corps de Galehot d’ici et qu’il soit transporté jusqu’à la Douloureuse Garde, afin qu’il puisse reposer dans le tombeau même où tu as vu ton nom inscrit. Telle est sa volonté, car elle sait que, dans très longtemps, c’est là aussi que sera enseveli ton corps, Lancelot. » Ces paroles eurent le don d’apaiser Lancelot. Il remercia la femme et répondit qu’il suivrait ses conseils. Puis il demanda des nouvelles de la Dame. « Elle a été fort bouleversée pendant plusieurs jours, car elle avait vu dans l’avenir, comme le lui a appris Merlin, que dès que tu découvrirais la tombe de Galehot, tu te donnerais la mort, éperdu de douleur, si tu n’en étais pas détourné au plus vite. C’est pourquoi elle m’a envoyée ici en toute diligence, pour te prier de mettre fin à ton désespoir qui ne peut que te détruire, et, au nom de l’être que tu aimes le plus au monde, de te ressaisir autant que faire se peut. Faute de quoi, elle te ferait défaut à jamais dès que tu aurais besoin d’elle. – C’est bien, dit Lancelot, je lui obéirai en tout point.
— Mais ce n’est pas tout, dit encore l’envoyée de la Dame du Lac. Arme-toi, car j’ai bien l’impression que ces gardiens ne te laisseront pas faire si tu manifestes la volonté d’emmener le corps de Galehot. – Plutôt mourir que de ne pas enlever Galehot de cette sépulture ! » s’exclama Lancelot. Il alla s’armer, tandis que la femme, entrant dans l’église, s’adressait aux gardiens : « Seigneurs, voulez-vous éviter ce qui sera de toute façon inévitable ? » Ils la regardèrent sans comprendre. « Je veux parler du corps dont vous avez la garde et qui sera, vous le savez, enlevé. – Nullement, nous avons le pouvoir de nous opposer à tout homme qui viendra dans ce but. – Vous avez tort, car celui qui doit enlever le corps de Galehot est venu. Si vous vous opposez à lui, vous courrez tous à la mort. Aussi vaut-il mieux le laisser agir. » Mais les gardes demeurèrent intraitables,
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