L'ange de la mort
prises par le scribe. Ensuite, Ranulf et lui passèrent le reste de la matinée au chapitre à interroger au moins une douzaine de serviteurs et servantes. Corbett renvoya presque immédiatement les femmes – lavandières et blanchisseuses – qui n’avaient le droit d’entrer ni dans la sacristie ni dans les appartements des chanoines. Quant aux hommes, la plupart avaient participé aux campagnes du roi, et, en tant que vétérans, avaient reçu un poste dans la cathédrale pour services rendus. Certains de ces vieillards radoteurs aux yeux chassieux avaient d’horribles cicatrices et mutilations. Corbett mena leur interrogatoire tambour battant en leur posant deux questions : Avaient-ils apporté une gourde de vin dans le vestiaire, le matin de la mort de Montfort ? Tous répondirent par la négative. Et avaient-ils pénétré dans la sacristie ou le vestiaire après la tragédie ? Là encore, tous le nièrent. Ils n’avaient rien remarqué de suspect. Corbett s’estima satisfait. Les cloches se mirent à sonner pour l’office de none et les chanoines revinrent en rang dans le choeur pour chanter la messe. Corbett et Ranulf décidèrent de partir. Plumpton se précipita vers eux en multipliant les démonstrations d’amitié.
— Messire Corbett, Messire Corbett !
— Oui, Sir Philip ?
— Peut-être désireriez-vous voir la chambre de Montfort ?
Corbett accepta :
— Bien sûr !
À la suite du sacristain, ils gravirent un escalier à vis en pierre pour gagner l’étage. Ils débouchèrent dans un long couloir aux murs chaulés sur lequel s’ouvraient des portes en bois verni décorées de losanges.
— Chacun de ces logis, expliqua Plumpton avec orgueil, appartient à un chanoine. Voici celui de Montfort.
Il tourna sur sa gauche, choisit une clé dans l’impressionnant trousseau qui pendait à sa ceinture et ouvrit la porte.
La pièce frappait par son opulence, voire son luxe. L’une des deux fenêtres ovales garnies de verre pur était un vitrail représentant une scène de la Bible
– — Jonas sortant du ventre de la baleine, pensa Corbett. L’énorme lit à baldaquin était recouvert d’une courtepointe fourrée d’hermine et frangée d’or et les lourdes courtines bleues qui le fermaient en temps ordinaire avaient été tirées, laissant apparaître des oreillers rouge et blanc. Un crucifix en argent était accroché au mur. Un candélabre à deux branches, également en argent, se dressait sur une petite table de chevet ; un coffre massif était rangé sous les fenêtres, au fond de la pièce, et un autre au pied du lit. Une cheville au mur servait à suspendre capes et autres vêtements.
Corbett se retourna :
— Puis-je l’examiner ?
Sans attendre la réponse, il souleva le couvercle du coffre installé au pied du lit, en remarquant que la serrure en était brisée. Pas grand-chose à l’intérieur : des objets disparates, des ceintures, des boucles, une paire de bottes en cuir fin de Cordoue, mais aussi deux livres : une Bible et un missel.
— Nous avons forcé la serrure, expliqua Plumpton, pour nous assurer qu’il ne contenait rien de précieux ni d’intéressant.
Corbett approuva et s’approcha du gros coffre. La serrure en avait été également brisée. Il l’ouvrit et, malgré les murmures de protestation de Plumpton, fouilla dans les vêtements, mais ce fut en vain. Il le referma et parcourut la pièce du regard.
— Messire de Monfort appréciait son petit confort ?
— Oui, mais je vous assure que nous avons déjà passé cet endroit au peigne fin. Il n’y a rien qui puisse vous être d’un quelconque intérêt.
— Pourquoi l’avez-vous fouillé ? interrogea Corbett sèchement.
Plumpton haussa les épaules.
— Après la mort de Montfort, il nous fallait dresser un inventaire de ses biens.
— Est-ce ici qu’il gardait le calice ? Je veux dire, celui qu’il a utilisé pour la messe.
— Oh non ! dit Plumpton. En tant que sacristain, je peux vous affirmer que la règle canonique exige que les objets liturgiques soient toujours conservés sous clé dans l’église ou tout près. Montfort veillait au strict respect de cette règle.
Corbett lui sourit et sortit à grands pas. Ils redescendirent. Le clerc remercia le prêtre pour son aide et son attention, puis, suivi d’un Ranulf plutôt ébahi, quitta l’enceinte de la cathédrale.
CHAPITRE X
Passant par Paternoster Row, Corbett et Ranulf gagnèrent
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