L'ange de la mort
vacarme du marché s’apaisa un moment lorsqu’un officier municipal, vêtu d’un habit orné d’une tête de mort et de crânes grimaçants, agita une clochette et proclama d’une voix de stentor :
— Bonnes gens, par pitié, priez pour l’âme de notre frère bien-aimé, Robert Hinckley, qui a quitté cette vie à 9 heures, hier soir !
Autour de Corbett, on murmura une prière et le crieur s’éloigna. Le clerc décida de flâner parmi les étalages, espérant trouver quelque chose, un présent pour Maeve, parmi les coiffes de laine, les dentelles, les rubans, passementeries, soie, fil de coton et d’or, anneaux de cuivre, chandeliers, aiguières, brosses, fers à repasser. Quelque chose d’utile. Il acheta un petit fermail, en forme de croix autour de laquelle s’enroulait un dragon ; fait d’or repoussé, il était attaché à une belle chaînette tressée comme de la soie. Corbett plaça soigneusement le bijou dans son escarcelle et garda la main sur cette dernière, car l’endroit fourmillait de coupe-bourses et de tire-laine bien décidés, eux aussi, à rattraper le temps que leur avaient fait perdre les abondantes chutes de neige.
Poussés par la faim, Corbett et Ranulf entrèrent dans une taverne où régnait, malgré l’humidité et grâce au feu rugissant dans l’immense cheminée du fond, une atmosphère chaleureuse et confinée. Sans prêter trop d’attention à la paille malodorante jonchant le sol, Corbett choisit une table éloignée des autres clients, un groupe de joueurs et une jeune femme qui semblait déjà bien éméchée. L’aubergiste, gaillard trapu au ventre barré d’un tablier, s’avança en tendant vers eux ses mains luisantes de graisse en signe de bienvenue. Il leur proposa des vins sucrés de Chypre et de Sicile, mais Corbett commanda seulement de la bière et deux plats de viande rôtie et fortement épicée.
Tandis qu’ils se restauraient, Corbett poussa Ranulf du coude :
— Ce matin, dans la cathédrale, as-tu appris quelque chose qui m’aurait échappé ?
Son serviteur fit signe que non et replongea le nez dans sa chope.
— Tu en es sûr ? insista le clerc.
Ranulf ne répondit pas tout de suite, jouissant de cet instant rare : celui où son maître lui demandait son avis.
— Il y a bien un détail... finit-il par dire lentement.
— Lequel ?
— Montfort se tenait bien au centre, devant l’autel, n’est-ce pas ? dit Ranulf en disposant symboliquement écuelles et chopes sur la table.
— Oui, confirma impatiemment Corbett.
— Ceux qui étaient immédiatement à ses côtés se tenaient tout près, je suppose ?
Corbett acquiesça.
— Alors, il se pourrait que l’un d’eux, ou même les deux, ait versé le poison dans le calice après que celui-ci fut rendu à Montfort.
Corbett eut un petit sourire.
— C’est vrai. Mais reste l’énigme principale, ce que Blaskett a appelé la contradiction. Qu’est-il advenu du vin empoisonné ? Quand j’ai examiné le calice, le vin était intact et sans odeur particulière.
Le clerc ne pouvait se défendre de l’idée qu’un détail lui échappait de peu, un détail qu’il avait aperçu sur l’autel, et cette sensation l’agaçait au plus haut point.
Il reposa sa chope et se renversa sur son siège, appuyé au mur. Il y avait, sans nul doute, quelque chose de louche ! Il se souvint des gouttes de vin sur le sol et des autres gouttes qui sentaient le poison sur le devant de l’autel. Il y avait eu échange de calice. Mais comment ? Il ne pouvait exister deux calices identiques ! C’était un fait établi. Il se leva, jeta quelques pièces au tavernier et partit en recommandant à Ranulf d’être prudent tandis que lui-même regagnait leur logement. Là, il alluma une bougie, prit son écritoire et son rouleau de parchemin, puis se mit à noter tout ce qu’il avait appris.
— Montfort avait été empoisonné pendant la messe.
— Montfort était un personnage qui entourait sa vie privée de mystère.
— On ne savait que peu de choses sur lui, sauf qu’il connaissait une femme étrange, aperçue près du choeur le jour de sa mort.
— Montfort n’était pas très apprécié de la plupart de ses pairs et semblait ne pas avoir d’amis.
— Il était censé attaquer le projet royal de taxation dans son homélie, après la messe. Or, suborné par le souverain, il aurait, en fait, soutenu le droit de la Couronne à imposer l’Église.
— Comment
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