L'ange de la mort
de Sir Philip, il m’a suffi de questionner deux blanchisseuses qui travaillent ici. Elles m’ont révélé que l’après-midi de la disparition de Montfort, vous leur aviez donné une aube avec l’ordre pressant de la rendre immaculée. Quant à la chasuble, vous ne vous en êtes pas préoccupé. C’est trop lourd et difficile à nettoyer, ce genre de taches n’est pas rare et personne n’aurait pu prouver que vous l’aviez salie lors de cette messe fatidique. L’aube, c’était différent. N’est-ce pas étrange que dans votre arrogance, vous n’ayez jamais pensé à la laver vous-même ? Remarquez, enchaîna Corbett, il y avait d’autres traces : les gouttes de vin empoisonné tombées sur le devant de l’autel lorsque vous aviez jeté le contenu du calice sous votre chasuble, et puis les traces sur le tapis, à gauche de l’endroit où se tenait Montfort, là où, dans votre hâte de remplir le vase sacré, un peu de liquide s’est répandu sur le sol. Oui, cela s’est, sans doute, passé ainsi. Vous connaissez la règle canonique. Or Montfort était très à cheval sur l’obéissance à cette règle. Si du vin consacré avait été répandu pendant la messe, il aurait ordonné que l’on procédât à un nettoyage rituel.
— Est-ce là tout ? demanda Luce d’une voix sifflante.
— Oh non ! répliqua Corbett. Vous espériez qu’après la mort de Montfort, la vie privée scandaleuse du doyen occulterait les pistes menant à l’assassin. Vous avez même cherché à faire endosser ce crime à d’autres. Montfort, toujours prêt à se vanter, n’avait pas caché que le roi lui avait fait cadeau d’une gourde de vin. Après avoir rempli le calice, et pendant que son corps était transporté à la sacristie pour recevoir l’extrême-onction des mains de Blaskett, vous vous êtes glissé dans sa chambre ; là vous avez mis du poison dans la gourde et rapporté, dissimulée sous votre lourde chape de cérémonie, ladite gourde jusqu’au petit vestiaire, près de la sacristie. J’ai raison, n’est-ce pas ?
— Parfaitement ! s’exclama Luce, les yeux étincelants de haine derrière la grille.
— Il ne reste qu’un problème, Luce, reprit Corbett d’une voix coupante. La raison de tout cela ?
Le trésorier pencha la tête de côté comme s’il était confronté à un problème.
— Oh ! c’est simple ! psalmodia-t-il à voix basse. Vous savez, je n’avais pas l’intention d’assassiner Montfort. Cela dit, je n’ai guère éprouvé de chagrin à sa mort. Mais notre roi bien-aimé, ça, c’était une autre histoire. Avez-vous jamais perdu un être cher, Corbett ? Moi, si ! J’avais un frère que je chérissais plus que tout au monde. Je ne sais si vous avez enquêté sur ma vie. Quand vous le ferez, vous verrez que je suis né en Flandre, mais ai vécu en Angleterre. Je fus promu au service du souverain. Ce fut Édouard en personne qui me conféra ce bénéfice. Je fis profiter mon frère de la faveur royale. Comme c’était un marchand, il vint s’établir en Angleterre, développa son négoce, puis, voyant l’intérêt grandissant d’Édouard pour l’Écosse, il s’installa à Berwick. Il se trouvait dans la Maison Rouge lorsque Édouard la mit à sac, tel un nouveau Gengis Khan ou Attila. Mon frère périt, ainsi que son épouse si avenante et confiante et...
La voix de Luce se brisa de chagrin.
— ... leurs petits anges. Vous comprenez, Corbett, il fallait que le roi expiât ses crimes. Personne ne lui a donné le droit de mettre des villes entières à feu et à sang. Personne ne lui a donné le droit de massacrer un innocent, un frère aimé, sa femme et ses jeunes enfants, sous le prétexte que les bourgeois de Berwick avaient eu la stupidité de résister au siège plus longtemps qu’ils ne l’auraient dû. Quand j’ai appris ce qui s’était passé, j’ai décidé que le roi mourrait. Pas discrètement, mais à la vue de tous. À la vue de l’Église et du Parlement royal, et sous l’oeil de Dieu, s’il existe. Édouard se serait écroulé, mort, et mon frère aurait été vengé.
Luce effleura distraitement la grille, le regard perdu au loin, un petit sourire aux lèvres. Corbett eut peur. L’homme était complètement fou, mais le dissimulait sous un masque de froideur raisonnable.
— Vous comprenez, Corbett, j’avais oublié que Montfort communierait une seconde fois. Si cet imbécile d’Ettrick ne le lui avait pas rappelé,
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