L'ange de la mort
autres représentants de la Couronne. Édouard avait fait de son mieux pour mettre un terme aux abus, en érigeant un immense mur d’enceinte autour de la cathédrale, mais il n’en demeurait pas moins que St Paul tenait plus de la place de marché que du lieu de prière. Les hommes de loi y donnaient rendez-vous à leurs pratiques, les serviteurs y venaient se louer et les marchands y conclure leurs affaires. On pouvait acheter tout ce qu’on voulait, pratiquement, dans cette maison de Dieu.
Surrey, caressant toujours sa barbe, décida qu’il en avait assez des sautes d’humeur du souverain.
— Sire, sommes-nous ici pour discuter des défauts et des inconvénients de cette cathédrale ou pour parler des conséquences de la mort de Montfort ? dit-il en désignant la clôture du choeur derrière laquelle croissait le brouhaha.
Le roi le foudroya du regard et faillit lui lancer une réplique mordante, mais il se souvint qu’il s’était déjà fait assez d’ennemis. Il s’adressa donc à Corbett :
— Hugh, allez vérifier si Montfort est vraiment mort.
Puis il cria :
— Bassett !
En se retournant, Corbett vit le jeune chevalier qui montait la garde à l’entrée, et, traînant juste derrière lui, Ranulf qui, bouche bée devant la colère du roi, se demandait si tout cela allait avoir des conséquences fâcheuses sur l’avenir de son maître et donc sur le sien. Ranulf était au service de Corbett depuis trop longtemps pour se laisser impressionner par la majesté royale, mais il connaissait l’humeur changeante du monarque et savait que si Corbett n’avait plus la faveur d’Édouard, il retournerait, lui, au ruisseau d’où il était sorti. En vertu de quoi il veillait au bonheur de son maître avec une ferveur quasi religieuse et ne laissait à personne le privilège de le tourmenter, estimant que cette prérogative lui revenait de droit.
— Bassett, répéta le roi, accompagnez Corbett ! Et Hugh, poursuivit-il en désignant Ranulf qui rôdait toujours dans les parages, emmenez votre chien de garde ! Il ne devrait pas être là !
Corbett et Bassett le saluèrent, puis repoussèrent la tenture et replongèrent dans le tumulte. Les hommes de la garde royale s’activaient à rétablir un semblant d’ordre. Ils avaient formé, autour du choeur, un cercle d’acier tandis que dans la nef, hérauts et officiers de la Maison du roi ordonnaient à la populace d’évacuer la cathédrale. Malgré le vacarme et les clameurs, Corbett entendit jaillir des menaces et des invectives. Le menu peuple considérait la nef comme lui appartenant de droit et exprimait son mécontentement d’en être chassé et d’être privé ainsi d’un spectacle passionnant. Pire, la rumeur de la mort de Montfort et des vociférations prophétiques du reclus s’était répandue, Dieu sait comment, et les gens murmuraient déjà que cette disparition était la condamnation divine du souverain.
CHAPITRE III
Suivi par Bassett et Ranulf, Corbett traversa le choeur où revenait le calme et entra dans la sacristie, vaste pièce aux lambris de chêne dont le centre s’ornait d’une énorme table et les murs de niches destinées à ranger les objets liturgiques. On avait allumé des torches et roulé des braseros pour lutter contre le froid mordant. Les principaux officiants et servants de l’office étaient toujours là.
Corbett parcourut la salle du regard : soldats, invités et chanoines de la cathédrale s’y pressaient en veillant, toutefois, à ne pas s’approcher de la grande table que l’on avait débarrassée pour y allonger la dépouille de Montfort, reposant sur la pièce de cuir. Un jeune prêtre, l’étole au cou, oignait les yeux, la bouche et les mains du défunt. Corbett chercha à qui s’adresser ; il aperçut finalement la silhouette d’un des principaux célébrants, un homme plutôt jeune, petit et grassouillet, à l’épaisse tignasse rousse, qui portait encore sa chasuble rouge et or. Corbett s’approcha de lui pour se présenter. Le prêtre se retourna et le clerc fut immédiatement frappé par la finesse et la douceur angélique de ses traits. Certains ecclésiastiques ressemblaient vraiment à l’idée que l’on se fait de religieux, d’autres non. Celui-ci était homme de Dieu jusqu’au bout des ongles : il avait le teint mat et lisse, des yeux bleus profondément enfoncés dans un visage rond et plein. Il sourit à Corbett :
— Ainsi, c’est vous que notre
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