L'Anneau d'Atlantide
souvenirs !
Le visage soucieux de l’ancien précepteur s’éclaira :
— Voilà comme j’aime vous entendre parler.
Et il regrimpa sur son échelle.
2
La dame du Caire
La lettre arriva quinze jours plus tard, au courrier du soir.
Frappé sur l’épais vélin bleuté, le monogramme arabe couronné était des plus impressionnants. En termes quasi officiels, le texte priait le prince Morosini de vouloir bien se rendre au Caire afin de traiter une affaire très importante pour laquelle la plus grande discrétion était requise. S’il voulait choisir le jour de son arrivée, un appartement lui serait réservé à l’hôtel Shepheard’s. Le tout signé « Selim Karem, secrétaire de Son Altesse »…
En la présentant ouverte à son patron, Angelo Pisani, qui remplissait les mêmes fonctions auprès de Morosini, n’était pas sans inquiétude. Depuis le courrier du matin, l’aimable prince-antiquaire était d’une humeur de dogue à cause d’une autre missive en provenance de Vienne. Son épouse que le jeune Pisani vénérait en silence – il avait déjà vénéré la première détentrice du titre, ce qui ne lui avait pas réussi – non seulement ne lui annonçait pas son retour, mais, après lui avoir appris que « Grand-Mère » allait mieux, ajoutait que, sur le conseil de ses médecins, elle poursuivrait sa convalescence en montagne, dans sa propriété de Rudolfskrone à Ischl, et que, naturellement, Lisa et les enfants lui tiendraient compagnie quelque temps. L’air vif du Salzkammergut serait meilleur pour les petits que la grisaille humide enveloppant Venise au début de l’année. « En outre, expliquait la jeune femme, cela évitera un nouveau départ en février, si février ramène l’ aqua alta (2) comme cela arrive de plus en plus souvent… »
À la suite de quoi, le « patron » s’était précipité dans le bureau de M. Buteau, en brandissant l’épître d’une main et en vociférant :
— Lisa exagère, en vérité ! Avant notre mariage, elle ne rêvait que de vivre ici, maintenant on dirait qu’elle ne rate pas une occasion pour en filer dès qu’il se met à pleuvoir ou que la mer monte…
Le secrétaire n’en avait pas entendu davantage parce que, de sa main libre, Aldo avait claqué la porte, mais le plaidoyer auquel M. Guy avait eu recours n’avait pas dû être efficace, si l’on en jugeait d’après l’œil orageux et la mine sombre qu’il affichait à la sortie.
Le dialogue commença mal :
— Qu’est-ce que c’est encore que ça ?
— Une invitation à vous rendre au Caire, Monsieur. Je… je pense que ce pourrait être intéressant…
— Ah oui ?
Lecture faite, le résultat fut exactement identique à celui du matin. Morosini sauta de son fauteuil et se rua chez M. Buteau en s’exclamant :
— Regardez ça, Guy !
La porte claqua de nouveau et Angelo réintégra ses propres quartiers en soupirant, mais sans être vraiment inquiet. Selon lui, un peu d’orage par-ci par-là était nécessaire dans le ciel bleu d’un ménage…
Cependant, Aldo demandait à son fondé de pouvoir :
— Eh bien ? Qu’en pensez-vous ?
Le vieux monsieur se carra dans son fauteuil sans lâcher le papier qu’il contemplait d’un air pensif :
— À vrai dire, je n’en sais trop rien. S’il n’y avait pas eu l’affaire de l’anneau, je vous conseillerais de prendre le bateau. D’ailleurs, vous ne m’auriez même pas demandé mon avis. Mais une invitation en Égypte si tôt après m’incite à penser qu’il conviendrait peut-être de se méfier.
— C’est un peu mon sentiment, encore que je ne connaisse pas grand monde dans le coin. La princesse… Shakiar, ça vous dit quelque chose ?
Pour son information, en effet, M. Buteau tenait à jour, autant que faire se pouvait, les généalogies des familles royales, princières, encore régnantes ou détrônées, sans compter les décès, à seule fin de savoir où migraient les joyaux de famille. Cette activité se révélait d’une certaine utilité pour la maison. Il n’eut donc aucun mal à fournir le renseignement désiré après avoir consulté l’un de ses dossiers :
— La princesse Shakiar, à ce jour avant-dernière épouse du roi Fouad, répudiée en raison de ses folles dépenses en bijoux bien qu’elle soit très riche mais aussi bréhaigne, comme on disait au
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