L'année du volcan
Nicolas, cette réunion, ou du moins ses conséquences, avait été préparée et ses suites prévues. Le faux-semblant donnait cette apparence de discussion. À bien y réfléchir, seul le fait qu’il était partie prenante dans l’affaire du chantagejustifiait son départ pour Londres. Ainsi demeurerait enfermé ce secret touchant son fils dans l’unique cœur qui en battrait plus vite. Ainsi la révélation ne se colporterait pas de bouche à oreille par des indiscrets n’y ayant nul intérêt personnel. C’était circonscrire celle-ci dans une étroite sphère, dans l’unique dialogue entre lui et le maître chanteur. Vergennes avait raison, les Anglais ne tenteraient rien dans les circonstances actuelles. Pour modeste qu’il considérait son poids dans la balance, ce serait suffisant à le protéger.
— Bon, dit Vergennes, assez parlé. Je souhaiterais qu’on me laissât seul avec le marquis de Ranreuil. J’ai des instructions particulières à lui donner.
Le Noir se leva le premier, l’air respectueux. Quant à Sartine, après un moment d’hésitation, il finit par se retirer avec la physionomie cafarde de quelqu’un à qui on ne peut rien celer.
— Monsieur, dit le ministre, invitant Nicolas à prendre place dans le fauteuil face au sien. Écoutez ce que j’ai à vous dire. M. de Breteuil m’a rapporté qu’étant ambassadeur à Vienne il vous avait confié la teneur des dépêches les plus confidentielles, que vous lui avez restituées mot pour mot presque aussitôt.
Il sortit une feuille de papier couverte d’une grande écriture qu’il tendit à Nicolas.
— Voici une lettre que je ferai expédier dans quelques jours à M. d’Adhémar, notre ambassadeur à Londres. Pourquoi, me direz-vous, ne me la confiez-vous pas afin que je la lui remette en mains propres ? Je vous répondrai ceci : je souhaite avec la fermeté d’un loyal serviteur du roi que vous lui marquiez mes volontés, davantage même mon mécontentement sur sa manière de servir le trôneet de représenter Sa Majesté. Nul doute qu’il tentera de vous en imposer d’une manière ou d’une autre. Ripostez et rappelez-lui de qui vous êtes l’image…
Il désigna la lettre.
— … Prenez le temps nécessaire, j’attendrai.
Nicolas se plongea aussitôt dans la lecture attentive du document qui n’était pas long et se révéla fort explicite. Au bout d’un petit quart d’heure, il en avait parfaitement assimilé la forme et le ton et le rendit à Vergennes. En échange, il reçut le passeport diplomatique d’envoyé extraordinaire qui garantissait le caractère de sa mission et les immunités qui y étaient attachées avec un court billet enjoignant à M. d’Adhémar de recevoir le marquis de Ranreuil comme le représentant personnel du ministre.
— Ainsi, ajouta Vergennes, quelques jours après votre communication, dont il ne voudra pas tenir compte, le connaissant, il aura mes recommandations… Enfin le terme est faible et leur effet n’en sera que redoublé. Ceci dit, Ranreuil, prenez garde à vous. Le roi ne peut se passer d’un serviteur tel que vous.
Le visage du ministre s’adoucit soudain ; le masque de l’homme de pouvoir laissa paraître un sentiment étrange que Nicolas devina. C’était sans doute une sorte de retour sur lui-même, un attendrissement de l’homme que la vieillesse et la maladie battaient comme la falaise les vagues quotidiennes de la marée. Peut-être aussi la volonté non avouée d’exprimer à Nicolas une sympathie que ses fonctions et la nature de son être l’empêchaient de manifester de plus évidente manière.
— Considérez bien que Sartine vous tient en haute estime et qu’il ne vous envoie pas là où vousirez de gaieté de cœur. Gouverner, c’est toujours faire des choix entre des inconvénients, fussent-ils rudes pour une âme tendre.
Que cette réflexion pût correspondre à Sartine, Nicolas en douta sur-le-champ. Par ce propos de traverse Vergennes n’exprimait-il pas sa propre émotion ? Il sut gré au ministre de cette espèce de faveur qu’il lui offrait.
— Sachez, monseigneur, que j’ai toujours été sensible à la bienveillance que vous m’avez fait l’honneur de me prodiguer.
Vergennes chassa une mouche importune et sortit de son pourpoint une bourse rebondie et une liasse de papiers.
— Voici de quoi pourvoir à votre mission. Je sais que vous en ferez bon usage, contrairement à d’autres… Ces lettres de change sur
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