L'année du volcan
1783
Au petit matin, Nicolas dut subir les désolations marmonnantes de Catherine que son départ affligeait. Il abrégea les adieux. Noblecourt n’étant pas encore éveillé, il salua Marion et Poitevin, s’occupa lui-même du picotin de Sémillante qui, inquiète,piétinait sa litière. Mouchette avait disparu, sans doute en quête de son matou préféré. Pluton, la gueule posée sur ses pattes, suivait d’un œil douloureux les mouvements de Nicolas. Les lettres furent confiées à Poitevin, un fiacre fut appelé ; le voyage commençait. Cependant, Nicolas fit arrêter son véhicule devant le porche de Saint-Eustache et entra dans le sanctuaire. Derrière le chœur il gagna la chapelle de la Vierge où il s’agenouilla un long moment. Au passage, il s’arrêta devant le sarcophage de marbre noir de Colbert. À genoux, le ministre du grand roi semblait lire et prier Dieu. Y avait-il encore des hommes de cette trempe capables d’exercer une aussi mémorable autorité ? Il en doutait. Il rejoignit les Messageries royales rue des Fossés Saint-Germain-l’Auxerrois. Il excipa de sa qualité et privilège de messager royal et un cabriolet rapide lui fut aussitôt octroyé.
Il sortit de Paris sans encombre et dans cet entre-deux que constituaient le balancement de la caisse et le défilé du paysage, il se laissa aller à une sorte d’engourdissement heureux. Bien sûr il aurait préféré, le visage fouetté par le vent, chevaucher Sémillante. Mais cela signifiait beaucoup d’inconvénients. Il n’avait pu se résoudre ni à la mettre en pension dans le premier relais de poste afin de la reprendre au retour, ni à éreinter sa fidèle monture avec l’obligation de faire étape chaque jour au détriment de la rapidité de sa mission. Nulle pensée n’agitait son esprit, qui vagabondait sur des sujets imprécis. Au bout d’un moment, il étouffa et baissa les glaces, établissant un courant d’air qui pourtant ne rafraîchissait rien tant l’atmosphère était chaude, lourde et curieusement empuantie. Il revint à sa rêverie. Il éprouvait comme à chaque départ, cet instant rare de liberté, ce moment parfait, quand le passé s’efface et que l’avenir n’est pas encore écrit. Pourtant, par à-coups, une oppression s’imposa au fur et à mesure qu’il s’éloignait de Paris. Il considéra le ciel. Les nuées jaune sale qui pesaient sur la terre comme un couvercle s’assombrissaient.
Cette marche rapide ne manqua pas après l’heureuse distraction du départ de le ramener à ses propres hantises et à faire retour sur lui-même. Cette course n’était-elle pas le symbole de sa propre existence ? Trouvait-il parfois le temps de s’arrêter, non pour se persécuter de réflexions sur les affaires en cours, mais tout simplement pour profiter du moment présent ? Combien de fois s’était-il promis de veiller à cela, sans jamais y parvenir ?
Soudain il songea au marquis, son père. Cette pensée le poignit. Lui restait dans l’âme le souvenir douloureux de l’algarade de leur dernier entretien. Que n’avait-il sur-le-champ pressenti la suite funeste qui en avait été la conséquence vraisemblable ? Il s’en sentait coupable. Quel drame que cette incompréhension qu’un mot eût suffi à dissiper entre deux êtres que tout rapprochait. Combien aurait-il donné aujourd’hui pour revoir se poser sur lui le regard à la fois altier et bienveillant de ce père si peu connu, car présent par périodes, celles où il ne combattait pas au loin ? Aurait-il été fier de son fils ? Nicolas mesura aussitôt l’inanité de cette question. Se serait-il retrouvé commissaire aux Affaires extraordinaires s’il était demeuré clerc de notaire à Rennes ? Le marquis aurait-il rétabli une filiation jusqu’alors cachée ? Sans doute le notariat eût été son destin probable. Depuis que le feu roi l’avait reconnu, son espoir secret avait été d’embrasser la carrière des armes tant le sang des Ranreuil criait en lui. Sa présence au combat d’Ouessant avait calmé ce regret et, désormais, il se persuadait avec émotion et une tendre douceur qu’heureusement Louis de Ranreuil remplissait ce destin perdu et reprenait place dans la longue lignée de ses aïeux guerriers.
À chaque relais de poste, il ne ménageait pas la réserve fournie par Vergennes pour changer d’attelage au plus vite et repartir aussitôt. Par prudence il n’utilisait pas son passe-droit, s’en
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