L'année du volcan
vient cette attaque. Ces nœuds de vipères, ces folliculaires qui rampent, grouillent et écrivaillent depuis tant d’années au sein d’Albion !
— Sein qui n’est point d’un blanc d’albâtre, remarqua Sartine avec un mince sourire.
Personne ne sourit tant la physionomie de Vergennes se renfrogna à cette saillie.
— Nous savons qui est notre… interlocuteur. L’attache a été prise avec le coupable…
Nicolas rageait à part lui d’avoir encore une fois été mis à l’écart d’un point important de l’affaire qu’il traitait. Par quels mystérieux détours Sartine parvenait-il à s’immiscer aussi vite et par quels mystérieux truchements trouvait-il moyen d’y répondre ?
— Bon, bon, dit Vergennes qui s’agitait de nouveau. Que décidons-nous ? Nous sommes ici pour cela, non ?
— Qu’il plaise, dit Sartine sur un ton pompeux, au ministre des Affaires étrangères, sous un prétexte quelconque, d’envoyer en mission à Londres le marquis de Ranreuil pour régler la question. Il y est directement intéressé.
Au coup d’œil interrogatif que Sartine feignit d’ignorer, Nicolas comprit que Vergennes, lui au moins, n’était pas au fait de la menace qui pesait sur le vicomte de Tréhiguier. Pour le reste, il semblait que dans l’esprit de l’ancien lieutenant général, il suffisait d’ordonner pour résoudre une affaire. Un claquement de doigt…
— Vous n’y pensez pas, s’écria Le Noir, montant courageusement à la tranchée. Le commissaire Le Floch a été vingt fois pourchassé et menacé par l’ennemi anglais.
— Allons, allons, point de ces mots qui fâchent. La guerre est finie, que diable !
— Tout de même, monseigneur, ce serait l’envoyer à la mort. Une souricière !
— Point, point, reprit Vergennes après y avoir un moment réfléchi. L’idée me paraît bonne. Les Anglais ne sont plus en mesure de tramer de tels coups qui seraient des provocations aux conséquences redoutables dans les circonstances actuelles. Le marquis de Ranreuil sera mon plénipotentiaire muni de toutes les accréditations voulues. Il se portera dès demain en Angleterre à marches forcées. Pour bien marquer que s’ouvre une ère nouvelle, il ne serait pas mauvais qu’il fît une visite de courtoisie à lord Aschbury qui, sous le couvert d’un poste auprès des lords de l’amirauté, continue à diriger le Service anglais.
— Voilà en effet qui ne manquerait pas de panache, dit Le Noir.
— Et, conclut Sartine, avec tout ce qui se passe dans leur ambassade, tout nous est permis. Et quelle mission, monsieur le comte, entendez-vous confier à Nicolas ?
— Vous connaissez l’ambassadeur que la faveur de la reine, sous l’influence des Polignac, m’a imposé pour Londres. Son extrême médiocrité est patente et son principal mérite est de plaire aux dames, encore que…
— La maison d’Orléans, interrompit Sartine, lui a prêté les mains pour saillir au-dessus de son obscurité et le voilà à Londres ! N’étant jamais sorti du caractère et du rôle de protégé, il n’effarouche personne et parvient ainsi à ses fins sans qu’on cherche à le barrer. La jeunesse anglaise lui offrira sans doute des pages complaisants. Monsieur le comted’Adhémar a les inclinations de Socrate, il lui faut des Alcibiades.
Un marquis de hasard
Chevalier d’industrie
Major d’infanterie
Colin de comédie !
Et Sartine esquissa un pas de deux qui surprit l’assemblée avec cette légèreté qui parfois marquait chez lui un reste d’enfance moqueuse. Son mouvement déclencha chez Vergennes une moue de réprobation.
— En effet, le menuet est au programme ! On avait besoin d’un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint ! Il s’était rendu précieux au ministre de la Guerre en tourmentant le régiment de Chartres, infanterie dont il a été le colonel et où il est encore en exécration. Bref, je ne le crois pas capable d’assez de pénétration pour porter ombrage aux secrètes intrigues du cabinet de Saint James. Depuis son arrivée à Londres, il ne satisfait point ce que j’attends de lui. Il ne remplit ni l’éclat de sa charge ni le profond de sa mission. Je lui veux faire mes reproches et recommandations, le marquis de Ranreuil sera ma voix.
— Et l’affaire Trabard ? demanda Nicolas.
— Elle peut attendre, dit Sartine, coupant la parole à Le Noir. L’inspecteur Bourdeau en assurera le suivi.
D’évidence, se disait
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