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L'année du volcan

L'année du volcan

Titel: L'année du volcan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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guinées, somme considérable pour les vingt-huit lieues de Douvres à Londres. Nicolas plaça à portée de main un pistolet de poche et son épée. À l’auberge on l’avait prévenu des dangers d’une route fréquentée par des voleurs de grand chemin qui interceptaient les voyageurs isolés. Au lieu de cette engeance, il ne rencontra que des dépouilles accrochées à des potences, en perruque et habillées de pied en cap. Il retrouva les paysages admirés lors de son premier passage : hautes futaies, broussailles de genêts épineux, houblons qui sortaient de terre avec leurs hautes perches et lesbords charmants de la Tamise. Compte tenu du caractère sacré de la propriété en Angleterre, il s’en fallait de beaucoup que la route fût tirée au cordeau. Il se dit à part lui que la ligne droite en tous domaines n’était pas du goût des Anglais. Son équipage croisa nombre de voitures chargées de blés et de farine que l’on dirigeait vers les ports. Il fut frappé de la vêture des paysans, aux redingotes de beau drap et remarquables par les bottines très propres qu’ils portaient aux pieds.
     
    À Canterbury, pendant le changement d’attelage, un bourgeois, ayant repéré sa qualité de Français, lui fit remarquer avec un effroyable accent l’auberge fermée où M. le duc de Nivernais, arrivant en Angleterre, en 1763 pour la paix, avait été traité en ennemi. Pour lui et sa suite, il lui avait été réclamé plus de cinquante guinées qu’il avait réglées rubis sur l’ongle sans broncher. L’aubergiste ayant proclamé son orgueil de cette exaction, la noblesse du comté du Kent fit prier le duc de se pourvoir en restitution. Cela fut repoussé de la manière la plus décidée. Au nom de l’honneur anglais, cette digne noblesse se chargea de tirer vengeance de cette ignominie et tous ses membres jurèrent de ne plus fréquenter ladite auberge qui dans les six mois fut ruinée et son tenancier déshonoré et chassé. Vingt ans après, le souvenir de cette affaire demeurait vivant.
     
    Un soleil voilé se couchait quand il arriva à Londres. La vision lui apparut cependant magnifique. Le port de Westminster tout illuminé, ainsi que l’avenue qui y conduisait, attirait le regard. En haut de la ville, les rues larges et alignées par lesquelles les voitures arrivaient de Douvres formaient un splendide quartier. L’or rouge du crépuscule faisait miroiter les flots de la rivière couverte de bateaux innombrables. À travers une sorte de gaze, on distinguait les voies emplies de carrosses et la foule amassée sur les larges trottoirs. Sa rumeur et son agitation parvenaient au voyageur comme un grondement lointain.
    L’entrée dans Londres remit au premier plan des préoccupations de Nicolas une question qu’il avait jusqu’alors censurée. Antoinette, l’ancienne Satin, la mère de Louis et son premier amour, se trouvait là, peut-être à portée de voix. Il en éprouva une révolution intérieure, son cœur battit plus vite ; il ferma les yeux et le visage aimé lui apparut avec une telle intensité qu’il laissa échapper un gémissement. Sartine ne lui avait à cet égard donné aucune instruction. Il savait bien qu’il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que toute tentative de contact dans ce pays étranger, et encore ennemi tant que la paix ne serait pas définitivement signée, équivaudrait à une quasi-trahison. Elle mettrait en péril un système de renseignements sur la Navy qui fonctionnait sans à-coups depuis des années, elle compromettrait la sécurité du royaume et, surtout, exposerait tout aussitôt la liberté et même la vie d’Antoinette. Pour ardent que fût son désir de la revoir, Nicolas savait qu’il ne jouerait pas à ce jeu-là, pétri de hasard et de mort.
    Il s’enquit aussitôt d’un logis et grâce à sa maîtrise de la langue finit, après plusieurs tentatives infructueuses, par s’en remettre à un quidam de franche physionomie qui, s’étant pendu à ses basques, eut l’heur de lui proposer un meublé au second étage d’une maison d’apparence près de Saint JamesSquare. L’hôtesse, veuve d’âge canonique, ne répugna pas à loger un Français qui s’exprimait si bien, dont l’allure la séduisait et qui ne discutait pas outre mesure le prix éhonté qu’elle exigeait. Elle se mit en quatre pour le servir au mieux. Il eut la surprise de constater que le couvert était compris dans le loyer. Après qu’il eut fait

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