L'année du volcan
remettait à sa propre politesse et à la bienveillance des maîtres de poste. La caisse rapide volait plus qu’elle ne roulait, de nuit comme de jour. Il franchit ainsi sans encombre des voies inégales aux sèches ornières et des ruisseaux emplis des boues des derniers orages. Dans les côtes, il descendait pour alléger la charge. Les cochers successifs furent choisis jeunes et de mine ouverte, désireux de bien faire et de mener le plus grand train possible.
À mi-chemin du périple, à Ailly-le-Haut-Clocher, là où jadis il avait été agressé 22 , il trouva le village éploré. Une mystérieuse épidémie s’était abattue sur la région, touchant bêtes et gens. Les symptômes étaient divers et lui furent développés par le maître de poste et le curé, qu’il trouva en conférence dans la salle de l’auberge où lors de son premier passage une terrine de pâté lui avait laissé un inoubliable souvenir. Les deux hommes paraissaient accablés et Nicolas s’enquit des raisons de leur souci.
— Voyez-vous, monsieur, dit le tenancier du lieu. Nous n’y comprenons rien. Tout le mois de juin a été fort pluvieux et a fait grand tort aux froments et aux arbres à fruits, le tout accompagné de brouillards successifs. Des coups de vents brutauxont cassé et arraché des noyers et d’autres arbres. La fin du mois a été plus sèche et on a pu faucher sans trop de dommages. Et puis il y a eu de terribles orages.
— Le courroux du Ciel ! murmura le prêtre, personnage long et mince au visage macéré. Tout a marqué sa colère. La nature en fut bouleversée. On a ramassé des grains de grêle aussi gros que mon poing…
Il tendit à Nicolas une main serrée décharnée.
— … Ils étaient armés de pointes irrégulières qui blessaient comme des dards. Dans certains d’entre eux, on a trouvé des crapauds jaunâtres et des escargots.
C’était la couleur habituelle de ces bêtes, songea Nicolas que l’ humour ne quittait jamais.
Le recteur se signa.
— Dans d’autres endroits, il est tombé une concrétion étrange, large comme la main sur laquelle était empreinte une croix. Les écritures et saint Jean…
— Bon, dit le maître de poste qui semblait excédé de ce discours, cela est bel et bon. Je crois que le vent a aspiré des objets lointains. C’est tant vrai qu’on a trouvé dans les grêlons des feuilles de plantes inconnues dans nos régions. Il n’y a pas de raison de mettre le diable et tous les saints dans cette affaire ! Reste désormais que le soleil apparaît sanglant et en plein jour ressemble à la lune. Les brouillards n’ont point cessé depuis. Tellement ils sont secs qu’ils ne ternissent point un miroir et ne liquéfient pas le sel. Et si épais et impénétrables que dans certains endroits, à Domont et à Saint-Riquier, à quelques lieues d’ici, à peine voyait-on pour se conduire.
— Les ténèbres couvriront la terre , dit le prêtre.
— Toujours on respire dans ce brouillard, si singulier que les vieillards assurent n’en avoir jamais vu de semblable, une odeur puante qui prend le nez et la gorge et cause une cuisson dans les yeux. Ceux d’entre nous, monsieur, qui sont de faible constitution ou de poitrine délicate s’en affectent et plusieurs sont morts. Les animaux se terrent et certains périssent. Dans nos jardins, les racines pourrissent et noircissent dans le sol. Les fleurs en boutons paraissent sans parvenir à éclore.
— Ce furent alors de la grêle et du feu mêlé de sang qui furent jetés sur la terre, et le tiers de la terre fut consumé et le tiers des arbres fut consumé et toute herbe verte fut consumée .
Le prêtre continuait à bredouiller à voix basse.
— Mon révérend père, inutile d’en rajouter, gronda le maître de poste. Il faut rassurer et non inquiéter. Qu’en pensez-vous, monsieur ?
— Selon certains savants, il est possible que l’origine de ces tourmentes réside fort loin dans l’île d’Islande où s’est ouvert un volcan qui déverse laves et fumées que le vent ensuite apporte dans nos contrées. Je pense que c’est un phénomène passager qui peu à peu s’atténuera. Voilà, monsieur, ce que je puis vous dire et ce qu’affirment à Paris des esprits éclairés. Il n’est point besoin pour expliquer nos soucis d’en référer à l’Apocalypse !
— Voilà ! Entendez, mon père, ces raisons de la raison et cessez d’affoler nos paysans dans vos prônes. Ainsi, vous
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