L'année du volcan
toilette, il fut convié à prendre place à une grande table d’acajou. Une servante apporta des tranches du sempiternel roastbeef accompagné d’un pudding et d’une pinte de pale ale . Le tout s’acheva par une bouteille de porto, des biscuits salés, un fromage de Stilton joliment persillé qu’après un moment d’hésitation il trouva fort bon, et des noix. Après ce festin, il se coucha et sombra dans un profond sommeil.
Vendredi 25 juillet 1783
Au petit matin il fit appeler une voiture pour se rendre à la résidence de l’ambassadeur de France. Ce bel hôtel paraissait en plein emménagement et le plus grand désordre y régnait. La place semblait une maison publique tant s’y mêlaient domestiques, laquais, frotteurs, femmes de charge. Il finit par trouver un membre de la chancellerie qui voulut bien transmettre à l’ambassadeur le mot d’introduction du ministre. On le fit lanterner un long moment, puis il fut conduit au premier étage dans un grand bureau presque vide. Un homme l’y attendait. De taille moyenne, entre deux âges, M. d’Adhémar portait beau mais devait cette apparence à nombre d’artifices qui couvraient, masquaient et maquillaient les atteintes de l’âge. Nicolas s’inclina.
— M. de Vergennes vous adresse à moi, dit-il d’une voix aiguë et chevrotante, et me prie de porter attention à ce que vous auriez à me dire de sa part. Est-ce bien cela, monsieur ?
— Je pense, monsieur l’ambassadeur, que vous avez bien saisi le sens de ma démarche.
— Eh bien non ! Je n’ai pas été accoutumé à ce que les ministres me parlent par truchement, fût-ce par… par…
Il relut le message de Vergennes.
— … le marquis de Ranreuil. Nous sommes-nous déjà croisés ?
— Je le crois, en effet. Au cercle de la reine, peut-être ?
— Comment, au cercle de la reine ! Signifiez-vous par là que vous approchez Sa Majesté ?
— Il se trouve que la reine m’accorde sa confiance depuis longtemps, en fait depuis son accueil à Compiègne par le feu roi en 1770.
L’ambassadeur fit quelques pas, indécis.
— Soit. Et quelle est la teneur du message que vous êtes censé devoir me communiquer ?
— Tout d’abord, monsieur le comte, concernant les pièces de tapisseries de Beauvais que le ministre vous avait offertes pour servir à l’ameublement de votre hôtel…
Nicolas parcourut du regard le vide des murailles avec une moue étonnée.
— … lors que vous n’avez pas donné réponse, elles ont été employées pour le service du roi à Fontainebleau. Il reste que d’autres sur les mêmes sujets et dessins demeurent à votre disposition et que…
D’Adhémar frappa le sol du pied.
— Il suffit, monsieur ! Je ne vous ferai pas l’injure de croire que vous avez fait ce voyage pour me parler tapisseries. Au fait, au fait.
— Bien, monsieur l’ambassadeur, le principal suit. Voici ce que j’ai à vous dire, non en acteur, croyez-le bien, mais en messager qui n’a nulle part à ce que le ministre des Affaires étrangères entend vous faire dire et comprendre.
— Jusqu’à preuve du contraire, je réserve mon sentiment sur votre discours. Je l’écouterai par courtoisie, mais je vous avertis que je n’en tiendrai nul compte, quel qu’il soit.
— Libre à vous, mais la parole que je vous porte est celle du ministre qui, par égard pour vous, a choisi ce moyen discret de vous faire part de son sentiment.
— Allons, au fait !
— Tout d’abord ma mission m’impose de vous transmettre les observations que lui inspire votre correspondance. Rien ne recommande tant un ambassadeur que des dépêches bien faites. Or il juge les vôtres insuffisamment soignées ; elles sont écrites avec facilité, mais le style n’est pas celui de votre métier. En tant qu’ambassadeur, le ministre estime que vous devez vous considérer comme faisant partie du conseil de Sa Majesté. Vous êtes l’œil du souverain. Il vous revient de rendre des lumières et de traiter les objets importants avec quelque profondeur, en ne craignant pas d’y joindre les réflexions qui naissent du sujet.
— Et par Dieu, c’est ce que je fais ! s’écria d’Adhémar écarlate.
— Il est de surcroît inopportun que vous chargiez vos dépêches de détails parlementaires inutiles. M. de Vergennes attend de vous que vous preniezle temps nécessaire pour faire à loisir vos lettres, et les limer.
— Tous ces propos ne sont que d’insanes
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