L'année du volcan

l’envie m’en avait pris, j’aurais de préférence utilisé la cheminée. Et pour le reste, je m’en bats les flancs.
    — Vous avez grand tort car quand nous aurons quelque idée de l’origine de ces papiers, de ce qu’ilsdissimulent et du pourquoi de leur destruction, vous pourriez vous en mordre les doigts. Vous êtes libre, pour le moment.
    Decroix sortit, haussant les épaules.
    — Tu le laisses aller ? dit Bourdeau.
    — Rien ne s’y oppose et puis, désormais, il est tenu en haleine, notre soupçon dans le dos ! De deux choses l’une. Soit c’est lui qui a brûlé les papiers et donc il dissimule quelque chose de décisif pour notre enquête, soit il dit la vérité et une nouvelle fois il paraît qu’une main mystérieuse s’acharne à le compromettre. Rappelle-toi ces indices d’une présence, de ce parfum, des draps, alors qu’il était, la chose est prouvée, dans une maison galante.
    — Ou alors…
    — Que veux-tu dire ?
    — Rien, une idée sans squelette qui m’a un instant traversé.
    — Et la soubrette, que signifie cette comédie ?
    — Gremillon s’est-il montré indiscret ? Il faut compter avec cela. Nicole ? C’est la fureur d’une amante dédaignée, ou alors… Comédie ?
    — Et si elle était sincère ?
    — Cela ouvrirait des voies bien compliquées…
    — Que faisons-nous maintenant ? Nous piaffons et l’enquête piétine.
    Nicolas consulta sa montre.
    — J’ai le temps de faire l’aller et retour de Versailles. N’oublions pas qu’il y a souper chez Noblecourt, ce soir. Je te prends la voiture. Si par hasard j’étais en retard, prie qu’on me pardonne.
    Il réfléchit un moment.
    — Tu insisteras particulièrement auprès d’Aimée.
    — Sois tranquille, tes intérêts sont en mains sûres.

XI
    COUR ET ENTOURS
    « Je jouirai des douceurs de la vie privée qui n’existent pas pour nous, si nous n’avons le bon esprit de nous les assurer. »
    Marie-Antoinette
    Dans la cour de marbre, Nicolas perçut soudain une respiration sifflante, puis une main griffue aux ongles cornés se posa sur son bras et une voix aiguë et éraillée se fit entendre.
    — Ah ! Enfin, je le tiens. Cela fait des jours que le vieux cerf brame à toutes les futaies pour que l’écho lui dise où trouver le marquis de Ranreuil. Vous ne m’échapperez pas !
    — Plaise à vous, monsieur le maréchal, j’ai message…
    Qu’avait-il dit là ? Il s’en mordit les lèvres. Le ver à l’hameçon aurait moins tenté un brochet.Les yeux éteints du duc brillèrent d’un éphémère éclat.
    — Un message ? Quel message ? Où étiez-vous donc terré tout ce temps ? Qu’en est-il de la mort du vicomte de Trabard ? La reine est bien nerveuse ces jours-ci et le Suédois bien présent. On me regarde comme si j’étais transparent, mais je vois et j’entends tout. Vous ne me voulez rien dire ? Peu importe ! La graine ira au sillon, oui, oui, oui, serviteur, marquis.
    Après un bruyant coup de canne sur le pavé, le maréchal s’éloigna. Ému, Nicolas plaignit un moment ce tas minuscule d’os et de satin où pourtant étincelaient encore les lumières d’un esprit acéré. Le peu qu’il avait laissé échapper fut pourtant d’un grand recours à Nicolas. La reine était soucieuse, le fameux officier suédois, dont parlaient les pamphlets, présent auprès d’elle. Voilà de quoi, songea-t-il, orienter son chemin et modeler son attitude.
     
    Dans le grand vestibule, au pied du degré du roi, Nicolas chercha du regard à qui s’adresser pour savoir où se trouvait la souveraine. Il eut la chance de croiser Thierry de Ville-d’Avray, premier valet de chambre du roi qui, d’une part, lui annonça que le roi souhaitait l’entretenir et, d’autre part, que la reine se promenait vers les bains d’Apollon.
    — Sa Majesté est revenue fort tard de la chasse. Je vais la prévenir de votre venue. Présentez-vous dans une heure, là où vous savez. À bientôt mon ami.
    Nicolas se dirigea vers le parc. Il nota encore une fois la brume jaunâtre qui couvrait le panorama, estompant les détails noyés dans son opacité. Près des bains d’Apollon, il distingua un groupe immobile à l’entrée de la grotte de Téthys. Il se tint à distance respectueuse jusqu’au moment où Marie-Antoinette, s’étant retournée et ayant braqué son face-à-main en sa direction, le reconnut et, d’un geste gracieux, lui fit signe d’approcher. Alors qu’il