L'année du volcan
goûter, je vais affirmer nombre de points précis. Si vous n’êtes pas d’accord, vous m’interrompez. Ce conseil a proposé de s’en remettre au vicomte de Trabard pour trouver un expédient permettant de régler la dette de Sa Majesté. L’avez-vous revu entre le moment où cette mission lui a été confiée et le jour de sa mort ?
— Non, monsieur, sur mon honneur je vous l’affirme.
— Vous êtes-vous rendu durant la nuit du 13 au 14 juillet au domaine de Trabard, rue d’Enfer ? Vous pouvez y être allé sans pour autant y rencontrer le vicomte.
— Point, monsieur. Point.
— Bien, monsieur, je vous crois sur parole.
Vaudreuil considéra Nicolas l’air incertain.
— Dernière question et je vous laisserai rejoindre Sa Majesté et M. de Fersen. Comment la nouvelle de la mort du vicomte de Trabard est-elle aussi vite parvenue à Versailles ?
Le visage figé, le comte de Vaudreuil ne répondait pas.
— J’insiste, monsieur, car enfin le vicomte de Trabard a été tué au milieu de la nuit. Moi-même ai été requis par la reine au petit matin… Calculez vous-même les allées et venues, de Paris à Versailles et de Versailles à Paris, afin d’informer le magistrat qui me fit sur-le-champ appeler.
— Monsieur, que puis-je vous dire ? J’ai appris la mort de M. de Trabard de la bouche de Sa Majesté dans la matinée. Vous devez vous souvenir qu’alors nous nous sommes croisés au Trianon.
— Je n’exigerai rien de plus. Le comte de Vaudreuil ne peut mentir et je tiendrai donc pour avérées les informations recueillies auprès de lui !
Ce fut exprimé d’une manière telle que le courtisan faillit répliquer. Il lança un regard assassin au commissaire et se jeta dans l’allée pour rejoindre la reine.
Nicolas demeura un moment en réflexion à l’entrée de la grotte. Ce qu’il venait d’apprendre ne laissait pas de l’inquiéter. Si Vaudreuil ne s’était pas rendu rue d’Enfer, si la voiture aperçue – une vérité ou un faux-semblant destiné à jeter le trouble ? – n’était pas, contrairement aux apparences, un carrosse de cour, si le même Vaudreuil avait connu la mort de Trabard par la reine, comment celle-ci… Il n’osait poursuivre. Un émissaire avait-il été dépêché à Paris pour rencontrer Trabard et récupérer lasomme espérée par la reine pour régler sa dette ? Il imagina que si telle était la vérité, l’envoyé n’avait peut-être pas touché au but. Arrivé peu après la mort de Trabard, ou plutôt sa découverte, l’agitation l’avait-il averti qu’un drame se déroulait ? Sans doute des gens du domestique étaient-ils sortis, pour chercher un médecin par exemple, et avaient pu informer ledit émissaire. Il avait piqué des deux et de retour à Versailles fait éveiller la reine qui, parfois, dormait à Trianon.
Une autre idée frappa Nicolas. Peu de gens détenaient le prestige et l’autorité de s’approcher de la souveraine et de donner des ordres à ses femmes pour obtenir de lui parler. Qui réunissait l’ensemble des conditions envisagées, qui détenait la confiance de la reine, qui était suffisamment proche d’elle pour entrer aussi entièrement dans un domaine plus que privé ? Un nom se présenta. Son esprit se cabra. Devait-il prendre en compte les rumeurs, lui dont le devoir était de les combattre ? Et pourtant ? Il ne pouvait guère envisager d’autre personne des entours plus susceptible de mener à bien la mission supposée. Restait la question de la voiture. Il paraissait plus qu’improbable que Fersen, car c’était à lui qu’il songeait, ait utilisé ce moyen si compromettant. Et d’ailleurs, autant que pouvait être recevable le témoignage du préposé, car sa confiance avait pu être gagnée, aucun carrosse de cour n’avait quitté Versailles cette nuit-là. Si c’était bien Fersen que la reine avait envoyé à Paris, c’est à cheval qu’il s’y était rendu ; le calcul des horaires le prouvait exactement. Il était impensable qu’il en vînt à poser la question à la reine. La connaissant, elle ne le tolérerait pas, il y compromettrait sa faveur. Il n’attachait pas une particulière importance à cette perspective,mais il craignait que l’efficacité de son travail en pâtît sans que pour autant il obtienne une réponse. Elle nierait, doublement prise au piège par ses mensonges et par le secret qu’elle voudrait jeter comme un voile sur ses relations –
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