L'année du volcan
policiers. À se demander, grommela Bourdeau, où une si grande dame avait pu acquérir le vocabulaire de la halle aux poissons. Cependant, rien ne fut trouvé de suspect dans les cheminées vierges de toute cendre. Ce fut Bourdeauqui, ouvrant le dessus du potager du logement de Decroix, découvrit une masse de papier brûlé, liasse non encore dissociée. Avec une pelle à feu, l’inspecteur saisit délicatement l’ensemble et le posa sur la table. Mais, la porte étant ouverte, un coup de vent fit voler une partie des cendres, laissant seulement intact le milieu préservé de la découverte.
— Trouve-moi un couteau, mais avant ferme la porte.
Bourdeau, jamais à court, sortit un canif de sa poche et le tendit à Nicolas qui, avec délicatesse, éparpilla chaque fragile particule sur la table. Il usa de feuilles arrachées à son carnet noir. Successivement il plaqua chaque fragment homogène entre les deux feuilles et appuya fermement de la paume sur les petits tas ainsi formés.
— En quelque sorte je décalque, en espérant que certaines lettres ou mots n’ont pas été entièrement consumés et qu’ils s’imprimeront sur la feuille blanche.
Dans le silence, les deux policiers observaient le résultat de l’expérience. Les débuts de son impression furent décevants, mais à la troisième tentative un mot surgit.
— Tu lis ce que je vois ?
— Je ne l’avouerai pas.
Bourdeau avait chaussé ses besicles et se penchait sur le minuscule carré de papier.
— Je distingue un t … Un a …
— Non un o .
— Plus un n.
— Non un u .
— Et enfin celle-là est plus nette, un r .
— Ce qui fait tour et ensuite on distingue clairement un autre mot « nord ».
— Ce qui fait « tour nord ».
— L’hôtel n’en compte point ! Et ensuite, que déchiffres-tu là ?
— Un u et un l et avant, non attends un s juste avant.
— Ce qui donnerait « sul ». Après, c’est incertain.
Soudain la porte s’ouvrit et Decroix entra. Le courant d’air que cette intrusion causa dispersa aussitôt le petit paquet de feuilles consumées qui se désagrégèrent. Bourdeau jura sourdement et Nicolas se retourna, agacé.
— Que nous veut-on ?
— Je suis au désespoir de vous déranger, mais Nicole, la femme de chambre, est en convulsions.
— Et que voulez-vous que nous y fassions ? Qu’on appelle un médecin.
— C’est que la cause de cet accès est une nouvelle qu’elle a apprise d’un des exempts.
— Et quoi donc ?
— Que Diego Burgos serait mort.
Nicolas frappa du poing sur la table.
— L’imbécile, dit Bourdeau, ne pouvait-il tenir sa langue ?
Decroix allait se retirer quand Nicolas, d’un geste de la main, le retint.
— Votre arrivée tombe à propos, même si…
Il jeta un regard dépité sur les cendres épandues sur le sol.
— Enfin, nous avons quelques questions à vous poser.
— À votre aise.
Nicolas le trouva moqueur comme si rien ne le pouvait toucher et qu’il fût extérieur à tout ce qui se passait autour de lui. Comment aborder la question des papiers dans le potager ? Le commissairecherchait désespérément une issue acceptable. Ce fut Bourdeau qui lui sauva la mise. Decroix était entré dans la pièce piétinant les cendres. L’inspecteur désigna le sol.
— Voilà un sol bien souillé. Qui fait le ménage ici ?
— Je l’ai déjà indiqué à monsieur le commissaire, les femmes de charge.
— Vous mangez ici ?
— Non, je dîne et soupe à l’office de l’hôtel, ou à l’extérieur, dans les tavernes du quartier.
— Bien. J’en conclus donc que vous n’usez jamais de votre potager ?
— Jamais. Je ne m’en suis jamais servi. La cheminée à la saison froide suffit à mes besoins.
— Voilà qui est clair ! Et moi, me voici hors de gamme. Les contradictions me donnent dans la vue 27 car il y a apparence que votre potager a servi récemment.
Decroix émit un grondement murmurateur.
— Faut-il que je palinodise 28 et vous répète le refrain ?
— Je vous intimerai surtout de prendre un autre ton, intervint Nicolas, et de vous modérer. Répondez à la question de l’inspecteur Bourdeau.
— Ma foi, j’ignore tout de ce que vous m’assénez.
— Il y avait une liasse de papiers consumés dans le foyer, certains encore lisibles.
— Je ne peux que culbuter votre échafaudage. Ce potager ne me sert point. Jamais je n’y ai fait brûler des papiers. Méditez que si
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