L'année du volcan
l’hôtel de police, il trouva Le Noir fort agité. Debout, il considérait avec consternation un rouleau de papier déposé sur son bureau.
— Ah ! Mon cher, vous voilà. Je brûlais de vous voir. Je crois que ce que je vais vous apprendre ne laissera pas de vous inquiéter. Un porteur est venu déposer ceci tôt ce matin…
Il avait saisi le rouleau et l’agitait au-dessus de sa tête.
— … Origine inconnue, expéditeur de même. J’en ai pris connaissance à mon réveil. J’augure mal lasuite. Il faut abandonner l’affaire Trabard où d’ailleurs rien n’est assuré, même si la manière a été si finement démontrée.
Tiens, se dit Nicolas, les lieutenants généraux de police se succèdent mais ils sont toujours aussi bien informés ! La basse-geôle aurait-elle des oreilles ? Il est vrai que l’été les mouches y abondaient…
— Pourquoi le devrions-nous ? Monseigneur, je vous écoute.
— Chacun, et tout le monde, se trouve sous la menace. Sa Majesté, la reine, la cour, de grands noms et vous-même, mon cher Nicolas, oui, vous-même !
— M’expliquerez-vous enfin, monseigneur ?
— De cet amas de papier qui transpire la haine et la fange… Ah ! La rage et l’indignation m’étouffent…
M. Le Noir trébucha, son visage était pourpre, il vacillait. Nicolas se précipita, le fit asseoir, lui desserra la cravate. Peu à peu une respiration normale se rétablissait. Une quinte de toux, et le visage reprit son teint habituel. Un verre d’eau lui fut tendu.
— Merci… Merci de vos soins. Écoutez ce que j’ai à vous dire. Ces papiers qui s’apparentent à ce que nous poursuivons de toute éternité… Ah ! Les mots me manquent devant de telles ignominies.
Il fut de nouveau quelque temps à reprendre sa sérénité.
— Vous savez combien la rue est saine. On ne voit plus de ces placards injurieux qui tapissaient nos murailles et jusqu’à certains recoins du château de Versailles. Désormais ils ont disparu. La vigilance de notre police les a vaincus. Les calomnies circulent de bouche à bouche, se copient même, mais ne s’affichent plus. Restent les libelles qui entrentpar paquets dans le royaume en provenance de Londres, d’Amsterdam, de La Haye. Et le pire, Nicolas, le pire, ce sont ceux qui ne sont pas publiés, mais qui servent de réceptacles à des chantages odieux. Tels sont ceux que j’ai sous les yeux. Écoutez !
Il déploya le rouleau et se mit à le lire à haute voix.
— « Qui est selon vous ce ministre qui détourne des sommes gigantesques pour payer les dettes de sa maîtresse et se commet dans des orgies où un prêtre batifole avec la chambrière âgée de la belle ? Et quel scandale, monseigneur, quand, surpris par le cocher qui pensait avoir l’exclusif de la servante, le prêtre flagellé à coup de fouet est pourchassé dans la rue où le vacarme se perpétuant, vos hommes, ceux du guet, sont intervenus. Et que dire quand pour étouffer le scandale …
Il tourna la page.
— Las, il y a un manque, le papier est déchiré.
Nicolas s’approcha et se pencha sur la page.
— La princesse de Bouillon .
— Comment, la princesse de Bouillon ! Comment le savez-vous ? Connaissez-vous l’affaire ? Ne me dites pas, je ne le croirais pas, que vous êtes…
Nicolas éclata de rire.
— Point ! Je n’en suis pas l’auteur.
Il sortit son petit carnet noir et en tira un angle de papier qu’il tendit à Le Noir.
— Je n’en crois pas mes yeux ! D’où sortez-vous ce fragment ?
Nicolas raconta comment, ayant découvert la cachette ménagée dans la mangeoire de l’étalon, il l’avait recueilli, vestige de documents qui y étaient déposés.
Le Noir approcha le fragment de la page qu’il lisait. Cela correspondait exactement.
— Peste, une seule et même affaire ! s’écria-t-il, se frappant la tête de la main.
— Monseigneur, nul doute que cette découverte concentrera la tâche sans pour autant faciliter le dénouement.
— Je vous épargnerai la suite. C’est un ignoble salmigondis de calomnies. Elles reprennent pour le fond le libelle « Les amours de Charlot et d’Antoinette » qui, j’ose à peine le formuler, accusait le comte d’Artois d’être le père de nos princes ! Il y a aussi des fac-similés de « La Naissance du dauphin dévoilée et les amusements de la reine » à laquelle s’ajoutent pour faire bonne mesure « Les Amours du vizir Vergennes ». Imaginez du
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