L'année du volcan
seule qui m’aime véritablement, aussi je ne veux être à personne . Saurait-on être plus clair ?
— Cette lettre ne prouve rien. Il ne s’agit peut-être pas de la reine, mais d’une autre personne. Et quant à la réciproque…
— Vous témoignez de votre bon cœur. Mais, Nicolas, ouvrez les yeux !
— Vous êtes la seconde personne à me le reprocher. Serais-je devenu un ange de candeur, incapable de rien discerner ?
— S’il n’y avait que moi, Sartine et vous, et l’eunuque sourd et muet qui, au fond d’un obscur bureau, défait les cachets, lit le contenu des lettres, en prend note et les referme, la chose ne dépasserait pas le lot fangeux des secrets que chaque homme de pouvoir entasse. Or cette lettre, j’ignore comment, a transpiré et ce torchon…
Il frappa le rouleau sur ses genoux.
— … en jabote d’importance. Toutes ces calomnies – ou non –, l’expéditeur menace de les rendre publiques ! Et pour étayer son chantage, il entend publier des pièces authentiques. Concevez-vous la chose ? Ceci dit, rien ne prouve qu’il les possède. Mais pouvons-nous faire courir ce risque à la reine et, hélas, à d’autres ?
Nicolas réfléchissait. Il ne croyait pas à ce désastre et s’imagina rêver. Puis la réalité s’imposa et un froid glacial succéda à cette espèce de délire. Cette suspension totale de ses facultés fut suivie d’une oppression affreuse.
Le Noir s’était levé et marchait à grands pas. À la fin il s’accouda à la cheminée.
— Plan de bataille, Nicolas. Un travail précis de police s’impose. Il ne faut négliger aucun détail. Plus redoutable à mes yeux demeure la manière dont des papiers ont été retirés de l’Hôtel de Trabard que de savoir qui a tué le vicomte. La résolution de la première énigme engendrera naturellement celle de la seconde. Ensuite, comment ces mêmes documents ont-ils pu parvenir jusqu’à moi ? Par qui et par quelcanal ? Et comme vous êtes partie prenante dans cette affaire, il vous faut d’urgence démasquer qui a mangé le morceau concernant votre fils. Toutes ces questions résolues, les voies devraient remonter aux origines.
Le Noir parlait d’or et semblait estimer que les réponses seraient obtenues dans la facilité et par le seul exercice de la méthode et de la raison. Nicolas savait bien, lui, quels prodiges de travaux ingrats et successifs aboutiraient, peut-être, à ce résultat. De la même manière que Sartine jadis considérait de haut la cuisine des enquêtes dont il méprisait au fond les moyens et les détours, l’actuel lieutenant général de police, en dépit de sa douce aménité, piaffait tout autant. L’impatience le dévorait de constater l’aboutissement des instructions données. Sartine, dès qu’il avait lancé le limier sur les pistes, aurait voulu que tout s’enclenchât comme par magie. Son idéal s’apparentait à celui d’un montreur d’automates. Il tirait une manette de sa bibliothèque à perruques, un mécanisme se mettait en branle, une mélodie s’élevait, des engrenages grinçaient et travaillaient et un tiroir jaillissait, présentant la perruque dans son enveloppe de papier de soie. Même si Le Noir ne s’égarait pas dans de telles extrémités, il n’en possédait pas moins, mais à un niveau moindre, la frénésie du résultat et la sous-estimation des méandres d’une enquête.
— Toutefois l’essentiel pour l’heure est d’interroger… je veux dire de suggérer à Sa Majesté de vous en confier plus et de la convaincre de nous aider et que, ce faisant, elle se préservera elle-même.
— Dois-je, monseigneur, lui dévoiler les raisons qui nous conduisent à cette insistance ?
— Mon cher Nicolas, je m’en remets à votre sagesse. Les réponses et l’attitude de la reine présenteront sans doute des ouvertures dont vous pourrez, je l’espère, tirer avantage.
Nicolas frémit. Il connaissait assez Marie-Antoinette pour savoir quel interlocuteur retors elle pouvait être. La seule chance d’en obtenir une aide serait sans doute à la mesure de la menace qui pesait sur elle. Le recours à Nicolas marquait cette crainte, auquel cas la convaincre en serait facilité.
— Bien, Nicolas. Agissez tout de suite, prenez une voiture et gagnez Versailles au plus vite.
Avant de quitter l’hôtel de police, il fit parvenir un message à Bourdeau lui donnant rendez-vous en fin d’après-midi au Châtelet et lui rappelant
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