L'année du volcan
le détail désormais. As-tu eu des nouvelles de la cour du Dragon ?
— J’ai eu un message. Pour l’heure rien ne bouge là-bas.
— Et Gremillon ?
— Il a lancé la traque et nos chiens prennent la voie sans espoir réel de réussite. Un gamin à Paris, c’est une aiguille dans un pré.
— Allons, le Dauphin couronné nous attend.
Nicolas ne savait pas combien de fois il avait vu le décor de la maison galante changer d’apparence. Les mouches rapportaient que la Paulet percevait en nature les honoraires que lui valait son talent reconnu de devineresse à la mode. Meubles, tentures et bibelots se succédaient, les plus riches remplaçant dans un mouvement perpétuel les plus modestes. Il se faisait ainsi un commerce permanent par lequel le Dauphin couronné réunissait en un seul lieu une maison galante, un tripot élégant de jeu clandestin, le temple d’une devineresse et une salle de ventes.
La silhouette qui les accueillit en chenille avait la mine mâchée et l’air épuisé. Elle bâillait et traînaitla savate. Elle les fit attendre puis revint les chercher. Bien qu’à sa toilette, madame allait les recevoir. Ils furent guidés dans les arrières de la maison où, fatiguée de gagner l’étage, la maîtresse des lieux s’était fait installer un petit appartement composé d’une chambre, d’un boudoir et d’une garde-robe. La Paulet leur tournait le dos, masse énorme comme accroupie devant son miroir. Leurs regards butaient sur l’édifice pyramidal d’une sorte de houppelande de satin rougeâtre ornée de fleurs blanches. Son extrémité supportait une tête mafflue d’où pendaient flasques, bajoues et fanons. Ils pouvaient voir son reflet alors qu’armée d’une petite truelle, elle s’appliquait à parer son visage d’une épaisse couche de céruse qui, en séchant, se craquelait avant même que le rouge fût mis.
— Elle a encore épaissi ! souffla Bourdeau. Regarde ses pieds, le cuir de ses mules a été tranché pour permettre aux membres de s’y insinuer.
Les ayant entendus, elle s’empara d’un geste vif de la perruque blonde aux flots bouclés qu’elle enfonça d’un coup de poing rageur sur sa tête chauve protégée d’une coiffe de dentelle.
— La raison entoure de gaze le flambeau de la vérité, murmura Bourdeau hilare.
Elle pivota soudain sur son tabouret avec une prestesse étonnante pour une femme de son âge et de sa corpulence et posa ses mains sur les hanches, ce qui eut pour effet d’élargir, si cela était encore possible, sa silhouette.
— Ah ! Pour le coup vous tombez bien, mes mignons. J’t’allais faire quérir, mon bon Nicolas. Et te voilà avec le gros joufflu gouailleux que je prise tant !
Elle lança une crapuleuse œillade à Bourdeau, qui rougit jusqu’à la racine des cheveux.
— Et quelle était, chère Paulet, la raison d’un tel empressement pour que votre indignation vous incite à rechercher l’appui de la pousse ?
— Il y a trois jours, deux godelureaux me sont venus demander deux filles pour la soirée…
— Tiens, remarqua Nicolas l’air sévère, je croyais que vous aviez abandonné ce genre de négoce ? Me serais-je donc trompé sur votre compte ?
Une jambe se leva d’agacement. Le peignoir pourpre s’entrouvrit, la découvrant tout enveloppée de bandages qui laissaient voir des espaces violets de chair ulcéreuse.
— Que m’bailles-tu là ? C’est pas à un vieux singe comme moi qu’on apprend à faire la limace !… On a bail à vie tous les deux et j’ai point mis de coups de ciseaux dans le contrat.
Nicolas, étouffé de rire, renonça à corriger la sentence.
— Alors, ces godelureaux ?
— Deux étourdis bien mis m’ont donc demandé des filles. Je n’avais rien à leur refuser : deux bonnes pratiques au pharaon…
— Au pharaon ! Le jeu maintenant, vous aggravez votre cas, ma chère Paulet.
— Il faut cesser Nicolas ! Si tu veux cracher dans ma malle jusqu’au cadenas, j’te vas répondre illico et te dire que t’as jamais ignoré ce que je traite et que ça t’a toujours arrangé, pas vrai ?
— Bien sûr, je vous taquine. Alors ?
Nicolas se rappela que c’était lui le demandeur et que l’heure ne convenait pas pour provoquer l’ire de la dame.
— Alors ? Ils ont conduit deux de mes plus tendres poulettes dans une petite maison où, après quelques préliminaires innocents, les deux bougres les ont fustigées jusqu’à ce que le
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