L'année du volcan
puisse dissimuler ?
— À première vue, cela semble impossible.
— Et le démonstrateur ?
— Il se trouve autour pendant chaque partie, s’approchant parfois près de l’armoire, soit à droite, soit à gauche, sans pourtant y porter la main sauf pour en remonter par intervalles les ressorts. Demeure le mystère de la tablette.
Nicolas paraissait sceptique.
— Ayant eu affaire avec Vaucanson, je soupçonne quelque escamotage et de la poudre aux yeux. Le spectacle se tient toujours au Café de la Régence ?
— Plus maintenant. Il a été transporté à l’Académie des Sciences au Louvre. Le Turc y sera gardé, protégé de la curiosité. Au fait, il s’agit de veiller à ce qu’aucune tromperie ne puisse être organisée. L’automate est donc enfermé dans une salle près de la bibliothèque.
— Cher Guillaume, avez-vous vos entrées dans cette illustre assemblée ?
— Certes ! Mes travaux en botanique y sont connus et je suis au mieux avec le marquis de Condorcet, son secrétaire perpétuel. Et encore plus proche de Guettard, docteur régent de la faculté de médecine, botaniste du duc d’Orléans et de Fougeroux de Bondaroy. Mais comme je précède toujours les détours tortueux de votre esprit inventif, cher Nicolas et que je pressens que vous souhaitez avoir accès au Turc et de préférence maintenant, je suis très ami avec le concierge qui, à ma demande, m’ouvre toutes les portes.
— Touché ! dit Nicolas. Mais peut-être me feriez-vous l’honneur de participer à l’aventure, je vous donne le temps de peaufiner la chose avec le concierge. Disons demain soir, si cela vous convient. Nous ne serons pas trop de deux pour tenter d’éclaircir ce mystère.
— Soit. Rendez-vous demain soir ici ?
— Oui, à minuit. Ne prenons pas de risques.
— Il n’y en a pas, dit Bourdeau, quand la police remplace le voleur !
Marguerite venait d’apporter le plat d’oiseaux sans tête.
— J’ai rajouté à l’intention de mon gourmand une sauce rémoulade avec deux œufs durs et des câpres d’Italie.
— Son gourmand , elle réitère !
— Suffit, dit Bourdeau. Considérez plutôt l’intérieur de ces merveilles. Une fois tranchée la fine couche de viande, admirez cette farce rosée toute persillée et ce gras que l’on écarte pour découvrir l’ambre de la gelée.
— Gourmand, mais poète, ajouta Nicolas qui, de longtemps, ne s’était autant amusé.
Habitué à examiner toujours ce qu’il ressentait, il goûtait avec bonheur le moment vécu et vivait avec intensité ce moment rare où l’amitié prévaut avec ses rires et connivences.
— Où en êtes-vous de votre enquête ?
— Elle avance, ouvrant à chaque pas de nouvelles et inquiétantes perspectives. Crime de la passion amoureuse ou plutôt de la haine conjugale ? Crime de la jalousie ? Complot d’État ? Chaque hypothèse est plausible. Chacun peut avoir agi séparément ou toutes sont liées par une volonté mauvaise et perverse, qui sait ? Pour le moment nous entassons les constatations les unes après les autres, en constituant une mosaïque de faits qui ne représente encore rien. Nous sommes aux aguets, en surveillance de tout et en assurance de rien. L’intention pourtant me porte à envisager, en présence d’un dénominateur commun, une affaire éloignée du banal dont tous les ressorts peu à peu surgissent sans qu’on sache vraiment qui les remonte.
— Votre intuition, Nicolas, m’a toujours subjugué. C’est un talent qui n’est pas donné à tout le monde. Certes, tout savoir sort d’une expérience nourrie par une connaissance personnelle et immédiate ; mais votre capacité de voyance s’impose, indépendante de toute causalité.
— C’est une qualité, dit Bourdeau, qui lui permet de percevoir les harmonies et les relations cachées. La principale qualité de Nicolas, son talent, c’est d’user d’une sorte de pénétration avec laquelle il sent ou devine ce qui n’est pas apparent à tout autre.
— C’est par la logique qu’on démontre, et Nicolas nous a maintes fois étonnés lorsqu’il nous a donné la solution des affaires auxquelles il s’est trouvé confronté, mais c’est par l’intuition qu’on découvre.
— Holà ! mes amis, dit Nicolas gaiement, j’ai l’impression d’être sur la table d’ouverture de Sanson. Suis-je un objet d’étude qu’on observe à la lunette comme un ciron ? Me décririez-vous comme un
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