L'année du volcan
dans le rafraîchissant, des oiseaux sans tête farcis de veau, noyés dans leur gelée, largement mitonnés au cidre, à petit feu. Je vous les servirai avec des cornichons nouveaux et une salade de concombres. Et pour les amateurs, une bonne moutarde de Meaux. Pour la fin, de bonnes cerises, les dernières, dont je te ferai des pendants d’oreilles, mon gros gourmand !
— Des pendants d’oreilles ! Son gros gourmand ! s’écrièrent de concert en chœur antique Nicolas et Semacgus.
— Voyez donc ces gueules d’empeigne, ces maldisants ! s’écria Bourdeau mi-figue mi-raisin.
— Le coquin est mal éduqué, dit Semacgus.
— Et même grossier, renchérit Nicolas.
L’arrivée d’un broc de vin de Quincy termina le brocard et ils trinquèrent de bon cœur.
— Alors Guillaume, que vous en semble de cet automate ? A-t-il paru crédible ? Votre avis m’intéresse. La reine, curieuse d’en savoir plus, m’a chargé d’enquêter sur la chose. Contez-nous votre expérience.
— À ma décharge, il joue très bien, mais ne gagne pas toujours. Bernard, l’avocat, l’un des plus forts joueurs après Philidor, s’est affronté au Turc en présence du maréchal de Biron et d’une noble assemblée. Il l’a franchement emporté tout en convenant que son adversaire avait déployé de grandes et estimables ressources.
— Qu’avez-vous observé de particulier dans cette machine ?
— Le Turc est fixé sur une armoire à roulettes, lesquelles permettent de la mouvoir aisément. La figure du Turc est de grandeur humaine, vêtue à l’orientale et assise sur une chaise de bois. Sa main gauche tient une longue pipe qu’il pose pour les parties. C’est de cette main que l’automate joue. Doit-il jouer que son bras se lève lentement et que sa main se dirige vers la pièce à déplacer.
— Est-ce à dire que la main est aussi animée ?
— Oui, les doigts s’ouvrent pour saisir. La pièce posée, le bras se retire et se repose sur un coussin. Même chose pour prendre les pièces de l’adversaire.
— Perçoit-on le bruit d’un mécanisme ? demanda Bourdeau.
— Certes. À chaque coup joué correspond un bruit sourd de rouages suivi de cliquetis, semblable à celui d’une pendule à répétition. Et plus étonnant encore, à chaque coup le Turc remue la tête et semble parcourir tout l’échiquier. Échec à la reine ?Deux inclinaisons de la tête. Échec au roi ? Trois inclinaisons. L’adversaire fait-il une fausse marche, que l’automate branle le chef, l’air critique…
L’hôtesse interrompit le récit et posa sur la table une vaste soupière et un plat fumant de crevettes sautées.
— Régalez-vous mes gentilshommes !
On n’entendit plus pendant un moment que le bruit de la dévoration.
— Ah ! dit Nicolas, j’ai toujours préféré les grises aux roses. Leur goût est plus prononcé et, traitées de la sorte, les épices relèvent encore leur saveur d’océan.
— Cette soupe est une splendeur de douceur et de délicatesse. Merci, Pierre, de cette découverte. Et ce petit vin de Quincy, quelle sapidité !
L’inspecteur contemplait ravi l’appétit gourmand de ses amis.
— Votre Turc est animé par une machine. Quelle énergie l’alimente-t-elle ?
— Elle ne fonctionne que deux ou douze coups avant d’être remontée. D’ailleurs à l’issue de la partie, j’ai obtenu qu’on me dévoile le mécanisme. La porte de devant de l’armoire ouverte, l’espace est divisé en deux parties inégales. L’une étroite est remplie de rouages, leviers, cylindres et autres pièces d’horlogerie. Dans l’autre, on distingue quelques roues, des barillets à ressorts et deux quarts de cercle horizontaux. Le reste comprend un coussin et une tablette sur laquelle sont tracés des caractères en or. Le démonstrateur la place sur une petite table près de la machine et assure qu’elle est si indispensable au mécanisme de son automate que sans elle, il ne pourrait jouer. Lorsqu’il publiera son secret, ilaffirme qu’on sera convaincu de la vérité de ce qu’il avance.
— C’est tout ?
— Non, quand on ouvre les portes arrière de l’armoire on découvre de nouveaux rouages. On peut aussi soulever le caftan du Turc et le rabattre par-dessus sa tête de manière à examiner toute sa structure intérieure. Encore des rouages et des leviers qui remplissent tout le corps de l’automate.
— Imaginez-vous possible qu’un homme s’y
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