L'année du volcan
lorsque le drame est intervenu ?
Nicolas apprécia la subtilité de la question posée par Bourdeau.
— J’étais au logis, méditant sur le sermon du dimanche suivant, toute cette nuit-là.
— Comment savez-vous le moment où votre frère a perdu la vie ?
Il y eut un silence. Le vicaire considérait le sol, ses mains se dissimulèrent dans les manches de son habit.
— Je n’en ai aucune idée. Je priais quand soudain la pensée de mon frère si coupable m’a angoissé. J’ai éprouvé un horrible malaise et la conviction qu’il lui était arrivé malheur s’est imposée à moi comme une certitude.
— Vous mesurez, mon révérend père, combien tout cela peut sembler étrange. Je ne sous-estime pas ce genre d’impression, mais dans une affaire criminelle tout doit être pris en compte. J’ai le regret de vous avertir que vous êtes désormais un possible suspect.
— Ah ! Seigneur, mon incapacité est telle, que je ne puis même prononcer une parole. Mais sachez que j’ai la vérité pour ceinture autour de mes reins et la justice pour cuirasse.
— Il reste que vous ne pouvez justifier de votre emploi du temps pour la nuit du meurtre de votre frère et que vous connaissiez d’étrange manière le moment de celui-ci !
Le vicaire leva les yeux au ciel et joignit les mains.
— Le Seigneur est notre ressource : nous combattons et il réduira en poudre tous ceux qui nous persécutent.
— Mon père, nous pourrions jouter à coup de saintes citations, mais cela ne fera pas avancer nos affaires d’un pouce. Alors redescendons, je vous prie, sur terre et répondez à nos questions. C’est la seule attitude digne que nous attendons de votre sincérité, la seule qui sera en mesure de nous en convaincre.
— J’appelle ma souffrance en oblation. Demandez et vous recevrez .
— Ainsi parlait le Seigneur ! dit Bourdeau, moqueur.
— Monsieur, reprit Nicolas, selon vous, à qui revient l’héritage de votre frère ?
— Hé, qu’en sais-je ? Je n’imagine pas qu’en dehors des stipulations de leur contrat son épouse puisse espérer quoi que ce soit de sa générosité. Il n’a que moi comme parent, je disposerai de ce qui me reviendra au profit des plus pauvres.
— Soit. Quand avez-vous vu votre frère pour la dernière fois ?
— Il y a quinze jours, quand il est venu apporter à son frère sa régulière offrande à notre sainte œuvre, s’écria une voix grave.
Un homme en habit religieux venait de pénétrer dans la sacristie. Petit, fluet, une physionomie déplaisante, des cheveux plats et rares, la démarche maladroite, le prêtre se campa devant Nicolas en le toisant de près, clignant des yeux.
— Monsieur le commissaire, dit Trabard, j’ai l’honneur de vous présenter M. de Terssac, curé de Saint-Sulpice.
Le prêtre agita la tête comme s’il niait ce qu’on venait de lui apprendre.
— Et que fait la police dans ce sanctuaire ? Notre archevêque l’a-t-il autorisé ? Comment dois-je prendre cette incursion pour le moins inhabituelle ? Quel forfait a commis notre frère Trabard, qu’on le poursuive dans son église ? L’official de Paris a-t-il désigné un promoteur pour instruire ? J’exige des réponses sur-le-champ !
Nicolas commençait à s’irriter des obstructions de ces gens d’Église. Il contint son impatience d’autant plus qu’une information capitale avait été dévoilée par M. de Terssac.
— Mon père, il n’y a pas lieu de s’irriter. Nous sommes venus d’ordre du lieutenant général de police pour recueillir le témoignage de votre vicaire au sujet du meurtre de son frère le vicomte…
Il leva la main pour éviter la nouvelle algarade qui se préparait.
— … Permettez, je poursuis. Quand vous êtes entré, vous avez dit que le vicomte de Trabard venait en régularité apporter son offrande et qu’il la remettait à son frère. De quoi s’agissait-il ?
M. de Terssac hésita un moment et finit par se calmer.
— Soit, monsieur. Vous ignorez sans doute que nos soucis financiers sont considérables. J’entends achever l’œuvre de mes prédécesseurs. Hélas, jusqu’en 1762, quand son bénéfice nous fut retiré, la loterie procurait des revenus réguliers à la paroisse. Nous ne sommes guère soutenus par la fabrique qui s’oppose à nos vues, même si le gouvernement nous a aidés à achever la tour nord. Cela a permis de poursuivre l’embellissement de l’intérieur, avec de nouvelles
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