L'année du volcan
le matelas, poussa une exclamation.
— Voilà bien autre chose ! Faisait-il collection de fioles ? Regarde…
Il les compta.
— Il y en a cinq !
Nicolas en saisit une et l’examina.
— Il s’agit de ces bouteilles étroites dont usent les apothicaires pour leurs préparations. Tiens, de la liqueur d’Hoffmann, cela ne te rappelle rien ?
— Les gouttes que prend Mme de Trabard pour mieux dormir !
Nicolas fit quelques pas dans la pièce, l’air concentré.
— Nous les saisissons. Il y a une chose que je…
Il n’acheva pas sa phrase.
— Que veux-tu dire ?
— Si l’on veut que la police trouve un indice, on se complaît à le mettre sous le matelas ou, si tu préfères, il faut avoir une cervelle de passereau pour dissimuler de cette manière ce que l’on ne voudrait pas qu’on trouve. Pourquoi les conserver ? Il suffisait de les jeter dans n’importe quel égout ! Tu vois où mon raisonnement nous conduit ?
Ils poursuivirent leurs recherches sans que rien n’attirât leur attention. Diego Burgos avait quitté l’hôtel en toute hâte ne prenant que les vêtementsqu’il portait sur lui. Ils rejoignirent le rez-de-chaussée. Bourdeau se mit en quête de Nicole, qu’il découvrit bientôt en train de les écouter derrière la porte du grand salon.
— Par ici, belle indiscrète. Nous avons quelques questions à te poser et je t’enjoins de parler net si tu ne veux pas finir à Bicêtre.
— Ta maîtresse a continué de prendre des gouttes afin de mieux dormir. Où garde-t-on les bouteilles contenant cette liqueur ?
— Dans l’un des tiroirs de la table de toilette de madame.
— Où les achète-t-on ?
— M. Gerault, l’apothicaire, rue Saint-Jacques, les livre par six tous les mois.
— Le premier du mois ?
— Oui.
— Cela suffit à la consommation de Mme de Trabard ?
— Oh, oui ! Il en reste souvent une ou deux fioles.
— Bien ! Conduis-nous dans l’appartement de ta maîtresse.
Elle regimba un peu pour finir par se soumettre.
Ils découvrirent une fiole entamée, que Nicolas reconnut comme étant celle qu’il avait remarquée au moment où il ramassait le roman de Lesage. Elle portait en effet le chiffre 3 à l’encre violette. Il considéra les fioles vides découvertes dans la chambre de Diego Burgos. Elles portaient successivement les chiffres 4, 5 et 6 et correspondaient sans doute à la livraison du mois ; cependant, deux autres portaient à l’encre noire les chiffres 5 et 6.
— On peut supposer que celles-ci proviennent de précédentes livraisons, elles n’avaient pas été utilisées.
— Cinq bouteilles, il y a de quoi assommer un cheval, et même…
— À quelle heure doit revenir ta maîtresse ?
— Je l’ignore.
— Pierre, tu restes avec cette demoiselle. Je vais m’entretenir avec Grégoire.
Le garçon d’écurie ne lui apprit rien de nouveau de ce qu’il savait déjà. Diego Burgos avait disparu peu de temps après la première visite des policiers rue d’Enfer et nul ne s’en était inquiété. Nicolas retrouva Bourdeau. Ils se concertèrent. Fallait-il arrêter la soubrette au risque d’alerter le coupable ? N’en savait-elle pas trop désormais pour qu’on pût, sans inconvénient pour l’enquête, la laisser en liberté ? D’un autre côté, leur inaction ne manquerait pas de jeter l’inquiétude. Nicole ne se priverait pas d’informer qui de droit de leur perquisition réussie. Le trouble serait ainsi jeté dans la maisonnée. Au bout du compte, après avoir remis les fioles sous le matelas du secrétaire, ils laissèrent libre la femme de chambre étonnée. Elle ne perdait rien pour attendre, le jour ne tarderait pas que l’affaire fût élucidée et son rôle éclairci.
VIII
FAUX-SEMBLANT ?
« Il faut se hâter d’exécuter cette tâche, car les dragons de la nuit fendent à plein vol les nuages et les ombres. »
Shakespeare
Rentré rue Montmartre, Nicolas avait connu une soirée paisible. M. de Noblecourt s’était couché tôt, sans doute fatigué de son escapade de la veille. Catherine, qui venait de recevoir de Poitevin la récolte de petits pois tardifs, les écossait quand le commissaire arriva. Il l’aida dans sa tâche. Avait-il faim ? L’enthousiasme de la réponse entraîna la cuisinière à mitonner une mijotée de légumes. Nicolas la regarda, intéressé, préparer de petites pommes de terre, racine qu’elle lui avait fait connaître et qui
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