L'année du volcan
chapelles, notamment celle de la Vierge. Et c’est à cette œuvre sainte que participait le vicomte de Trabard.
— Et sous quelle forme, demanda Bourdeau, cette participation était-elle apportée ?
Tout en parlant il observait la physionomie de la sombre face du vicaire. Celui-ci s’était reculé à l’ombre d’une armoire à chasubles et il ne put en juger.
— Il nous confiait un sac de pièces. Le montant était chaque fois différent suivant ses possibilités.
— En écus, en louis ?
— En monnaies d’argent étrangères, espagnoles le plus souvent et quelques fois anglaises.
— Et vous ne vous êtes jamais soucié de l’origine de cet argent ? Il est sans doute peu courant de recevoir une aide de cette manière-là ?
— Je n’y voyais point malice. J’ai une fois posé la question au vicomte de Trabard. Il m’a répondu en riant que l’argent n’avait pas de royaume et que ces pièces provenaient du négoce de chevaux de courses, négoce principalement dirigé vers l’Espagne.
— Et de ces sommes, que faisiez-vous ? reprit Nicolas.
— Nous les changions en or à la Caisse d’escompte et nous en reversions le gain…
Dans l’ombre, le vicaire s’agita.
— … enfin, un honnête intérêt à M. de Trabard.
— La charité et l’aumône exigent-elles une terrestre rétribution ?
M. de Terssac fixa Bourdeau avec une sorte de commisération.
— Il faut savoir accepter les défauts de son prochain. Le vicomte de Trabard aurait pu refuser de nous aider. Il l’a fait, et que le Seigneur en tienne compte dans la balance où il sera pesé. Il a proclamé que tout le bien que nous ferons à autrui, quel que soit son poids, il l’accepterait et le compterait comme offert et accompli en son nom.
— Vous connaissiez donc la mort du vicomte ? Comment l’aviez-vous apprise ?
— Par mon frère vicaire de ce sanctuaire, son parent.
— Soit. Mais revenons à cette charité en espèces. Vous avez avancé que l’argent était porté à la Caisse d’escompte. À qui précisément ces sommes étaient-elles remises ? Et par qui ?
— Je portais moi-même le sac où se trouvait la contribution de M. de Trabard à la Caisse après avoir pris rendez-vous avec son caissier principal.
— Qui a pour nom ?
— M. Bezard. Un homme aimable et tout pétri de bons principes.
Nicolas ne manifesta aucune émotion à l’énoncé de ce nom.
— Et, comme il se doit, dit Bourdeau, prenant la suite, les formalités habituelles étant observées, indications chiffrées sur le livre de caisse et quittance signée faisant office de décharge et de reçu ?
Il fut de nouveau regardé avec un indicible mépris.
— Voilà bien le raisonnement d’un marchand du temple ! Qu’avons-nous à faire de ces babioles de papier. Le numéraire en pièces d’argent était changé. Et j’en faisais trois parts d’inégales importances. La plus grosse revenait au budget du sanctuaire et servait à financer embellissements et travaux, la seconde était remise à mon vicaire pour l’aide qu’octroie cette paroisse aux pauvres, hélas de plus en plus nombreux, et la moindre revenait au vicomte de Trabard en juste et honnête tribut de sa générosité.
— Marchand du temple, peut-être, mais vous êtes-vous jamais interrogé sur cet… échange, j’allais dire malversation…
— Monsieur !
— Oui, monsieur le curé, j’ose le terme. Car comment appeler un système où des sommes aux origines inconnues passent de main en main et, par une espèce de criminelle alchimie, se transforment en or dont chacun se repaît sans qu’aucune tracesubsiste d’un étrange tripotage qu’on pourrait, s’agissant de prêtres, apparenter à de la simonie.
— Monsieur le commissaire, je vous somme de faire taire votre commis.
— Monsieur, mon commis, comme vous dites, est inspecteur de police au Châtelet, magistrat du roi. La simonie est la vente des choses saintes. Or l’étrange commerce que vous nous avez décrit équivaut à mes yeux à un scandaleux mélange. Je ne le désavouerai pas. Cela suffit d’ailleurs. Nul doute que vous aurez à vous expliquer sur tout cela devant les autorités du royaume chargées de punir ce type de malversation.
— Monsieur, je vais de ce pas me plaindre à notre archevêque.
— Qui ne manquera pas d’approuver cette fraude qui tient tout à fait du passe-passe des escamoteurs des foires, croyez-vous ? Je doute que
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