Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
Vom Netzwerk:
contrairement aux hypothèses des géographes antiques, elle avait une fin. Que la route maritime des Indes était une réalité.
    — Quand il a marqué sa découverte majeure de cette croix de l’ordre du Christ, il devait être joliment gonflé d’orgueil, maître.
    — Il était encore plus rongé d’amertume, José. Parce que ses équipages qui renonçaient à leur gloire populaire de parvenir les premiers à Calicut, lui refusaient l’immortalité. Tu comprends ça ?
    Fernandes regardait fixement la croix rouillée posée sur ses mains.
    — Bartolomeu n’est jamais revenu ici. Il était dans la première flotte commandée par Cabral. Il a disparu dans les latitudes australes d’où nous revenons nous-mêmes.
    — La prophétie d’Adamastor !
    Grumètes et soldats écoutaient sans mot dire. Ce bout de ferraille tordue était-il assez important pour bouleverser tout d’un coup un homme d’habitude méprisant et glacial ?
    Les sondant du regard l’un après l’autre, le ton de maître Fernandes se fit incisif.
    — Je vous demande expressément de ne parler à personne de notre trouvaille en rentrant à bord. Si elle est ébruitée, je serai obligé de remettre cette croix à dom Cristóvão. Parce qu’elle est digne du roi, il sera trop heureux de la porter fièrement au vice-roi pour être offerte au Castillan. Cette relique inestimable doit être conservée sur le sol portugais et y rester toujours. Je la déposerai moi-même à la Casa da India, notre maison, dès mon retour à Lisbonne. Elle y sera en lieu assez sûr pour que nul, quel que soit son rang, n’ose l’emporter hors de nos frontières.
    Ils promirent et, curieusement, ils tinrent parole.

    Maître Fernandes observa la culmination du soleil à l’aide du grand astrolabe suspendu. On pratiquait ainsi depuis le voyage de Vasco de Gama et on ne pouvait faire mieux pour déterminer les coordonnées de la Terre. Il détermina que l’île de la Croix était exactement à la latitude de 33 o et demi.
    Ils descendirent à regret le tertre haut d’une trentaine de toises. François foulait avec allégresse le sol de l’Afrique australe, traînant les pieds dans l’herbe rase pour mieux sentir la consistance souple du sol et pour faire durer le plaisir. Il faisait lever à chaque pas des insectes nerveux et des dizaines de papillons de toutes les couleurs. Un papillon noir qui voletait alentour se posa sur son avant-bras. Par association d’idées, il fut désespéré de ne pas partager cette plénitude avec Margarida. Il lui aurait fait les honneurs du propriétaire précaire qu’il était à cet instant. Il fut honteux de constater que son égoïsme l’avait conduit à l’oublier complètement, tout à son enthousiasme émerveillé de folâtrer dans les herbes foulées par les découvreurs. Les grumètes suivaient en se chahutant, portant sur leurs épaules le matériel astronomique. Maître Fernandes s’arrêta brusquement et retint François par la manche.
    — Sais-tu pourquoi je t’apprécie ? – Il ne lui laissa pas le temps de répondre et poursuivit, les deux mains sur ses hanches, feignant de reprendre son souffle. – Ce n’est pas seulement pour tes connaissances qui me sont utiles. C’est d’abord parce que tu es capable de comprendre ce que nousavons fait. On nous jalousait le poivre à pleines mains. Nul n’a songé à nous créditer de nos efforts pour y parvenir. L’Espagne s’est enorgueillie des découvertes de ce Colombo qui nous doit tout, et elle a jeté finalement sa couronne sur notre empire. Les Provinces Unies, l’Angleterre, commencent à courir à la curée. Le destin du Portugal est de n’être jamais reconnu. Je sais parfaitement que les siècles futurs oublieront que c’est nous qui avons ouvert les océans à l’expansion de la civilisation chrétienne.
    Il le planta interloqué, et reprit sa descente, rattrapant les grumètes à grandes enjambées. François le regarda s’éloigner et murmura :
    — Merci, Joaquim Baptista. Merci pour tout.

    Pour rembarquer dans la chaloupe, ils traversèrent à nouveau avec dégoût le tapis vivant qui semblait défendre l’îlot, grouillant de crabes plats aux carapaces noires et luisantes, aussi répugnants qu’une cohorte sombre de cafards. Leur troupe chassa à coups de bottes, de savates ou de talons nus selon leur condition les crustacés qui faisaient face à l’agression de tous leurs petits yeux rouges et de leurs pinces

Weitere Kostenlose Bücher