L'arbre de nuit
jalonnaient d’année en année la progression des pouvoirs spirituels et souverains du roi du Portugal jusqu’à l’Inde.
La face tournée vers le mouillage était sculptée profondément. François avait aussitôt reconnu l’écu du pavillon royal qui recouvrait la dépouille de dom Forzaz Pereira quand il avait aidé Jean à embaumer le vice-roi. La face opposée du signal tournée vers la mer portait l’inscription qu’il traduisit mentalement.
L’an 1488 depuis la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, le très excellent et puissant monarque le Roi D. Jean II du Portugal a envoyé découvrir cette Terre et planter ces Padrões par Bartolomeu Dias écuyer de sa maison.
— La signature de Bartolomeu Dias, écuyer de João Second ! Le découvreur du cap de Bonne Espérance !
— Lui-même.
— Il a donc abordé ici.
— Oui. Deux fois. Dias a franchi le cap sans le voir, comme nous, dans la tempête. Quand elle s’est apaisée, il a fait route vers l’est, cherchant l’Afrique contre laquelle il se cognait depuis qu’il avait dépassé les derniers signaux plantés par son prédécesseur, Diego Cão. Ne trouvant rien que la mer libre après plusieurs jours, il a compris qu’il avait dépassé la fin de l’Afrique. Il est remonté vers le nord et il est entré dans une baie où paissaient des troupeaux. Les Cafres leur ont lancé des flèches alors qu’ils tentaient de débarquer. Ils ont poursuivi leur route.
La petite troupe s’était rassemblée autour de maître Fernandes. Ce savant hautain et secret qui ne leur avait jamais adressé la parole ravivait pour eux une aventure vieille de cent vingt ans. Ils l’écoutaient comme ils auraient suivi l’homélie d’un prédicateur.
— L’équipage décomposé de terreur a fini par se mutiner. Il a été contraint de reculer au seuil de la voie ouverte.
Le pilote toucha la pierre et la caressa amoureusement de la main.
— Alors, Bartolomeu Dias a abordé ici et il a ordonné d’ériger ce padrão, frustré de sa victoire. C’était le jour de São Bras. Nous sommes sur l’îlot de la Croix.
— Et il est rentré la mort dans l’âme.
— Pas encore. Ses hommes étaient honteux de leur couardise. Ils lui ont accordé deux jours de route. Deux jours ! La quête lusitanienne du passage au sud de l’Afrique durait depuis soixante-treize ans. Il acheva son voyage et son rêve dans l’estuaire d’une rivière qu’il baptisa Rio do Infante parce que João Infante, le second de Diaz, qui commandait l’autre caravelle, mit le premier le pied à terre. Après avoir fait demi-tour, effondré de tristesse, Dias a tenu à repasser ici, pour embrasser le signal ultime de son expédition victorieuse et inachevée.
Une émotion inattendue étreignait ces marins et ces soldats rudes. Un grumète s’était instinctivement découvert et ils avaient tous enlevé l’un après l’autre bonnets et morions. Les mains croisées sur sa ceinture, le pilote-major fixait le signal comme s’il voulait le graver sur sa rétine. Il fit à voix basse un dernier commentaire :
— Il a dit plus tard s’en être séparé comme s’il abandonnait un fils sur un rivage lointain.
François caressait à son tour la colonne de pierre, partageant leur méditation collective. Il se tourna vers le pilote.
— Si Bartolomeu Diaz a nommé cette presqu’île l’îlot de la Croix, c’est qu’il en avait érigé une, monumentale sans doute. Probablement en bois. Peut-être faite de troncs d’arbres abattus. Ou d’espars. Elle a disparu depuis si longtemps. Nous pourrions peut-être trouver la trace de son emplanture.
— Je ne le pense pas. Les padrões étaient surmontés d’une croix en fer fixée au plomb dans une cavité percée à leur sommet. Elle a probablement été dérobée par les Cafres pour qui le métal dur est d’une valeur infinie.
Le ciel tourmenté était parcouru par des nuages véloces entre lesquels le soleil perçait de longs moments. L’observation de la méridienne serait possible sans difficulté. C’est pour effectuer cette observation qu’ils avaient débarqué d’une chaloupe à dix rameurs, flanqués de trois grumètes et d’une douzaine de soldats en armes portant cuirasses. On y avait descendu avec précaution un coffret plat contenant un grand astrolabe en bois large de trois empans, le trépied de fer auquel il serait suspendu, les arquebuses, les poires à poudre et des sabres d’abattis. Les
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