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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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calomnie sur l’âme de la femme en se frottant les mains, et l’on colporte depuis une histoire imbécile.
    — J’aurai au moins quelque chose à mettre aujourd’hui au crédit de l’Église. En tout cas, pseudo-sirène ou vache marine, le poisson-femme est très prisé au Mozambique. Ses dents réduites en poudre font merveille contre les hémorroïdes, les flux de sang et les fièvres chaudes.
    — Elles entrent naturellement dans le bazar de la pharmacopée animiste à côté des crapauds séchés, du sang de salamandre et du venin de cobra, ajouta Antão en affectant pour plaisanter un ton pédant.
    Jean pointa à son tour Antão de l’index.
    — Cette fois, l’abbé, c’est toi qui colportes des inepties. Ne brocarde pas la médecine naturelle et ses drogues qui te paraissent étranges. Je les étudie avec soin au cours de mes voyages sans préjuger leurs vertus car notre médecine n’est pas beaucoup plus avancée que celle des peuples que nous disons sauvages. Je témoigne des qualités thérapeutiques de la dent de vache marine car j’ai expérimenté sa poudre.
    — La poudre de dent de vache marine !
    — Parfaitement. Et alors ? J’ai constaté qu’elle a des effets visibles. J’ai l’intention d’ailleurs d’en négocier une livre ou deux à Mozambique où on les chasse, à un prix moins dément que celui auquel j’ai payé mes expériences. Quant à des détails plus scabreux, pardonnez-moi d’être trivial : les naturels trouvent que la nature de ce mammifère ressemble fort à celle des femmes. De l’Éthiopie au Monomotapa, les nègres y prennent dit-on leur plaisir bien que cela leur soit interdit par des décrets royaux.
    — C’est absolument dégoûtant !
    — Si tu commences déjà à t’énerver, François, tu vas souffrir. Tu as voulu venir en mer des Indes. Tu en apprendras bien d’autres et je n’ai pas fini. Les pêcheurs qui traquent ces mammifères tranquilles pour arracher leurs dents en abuseraient parfois quand ils sont morts. Nécrophilie zoophile ou zoophilie nécrophile ? Tu vas avoir du travail, Antão, pour enseigner ton catéchisme. J’oubliais ! Dans l’archipel des Comores, pas très loin d’ici, on pratiquerait la coutume du viol rituel des poissons-femmes.
    — As-tu quelques autres cochonneries à nous dire ?
    — Pour l’instant, non. Puisque ce sujet te retient, Antão, du simple point de vue anatomique, en nous plaçant aux bordures séparant la création du monde et la création de l’homme, sans mettre en cause bien sûr la primauté de l’âme immortelle, ces mammifères étranges peuvent-ils être des intermédiaires manqués entre les animaux et les humains ?
    Le jésuite leva les bras au ciel.
    — Tu oublies que Dieu a créé l’homme à son image, c’est-à-dire aussitôt parfait, sans essai préliminaire.
    — On débat encore des hommes-chiens et des loups-garous dans les amphithéâtres universitaires mais encore plus chez les scolastiques. On garde la mémoire confuse de naufragés humanoïdes nus et sales, se nourrissant de poisson cru et ne parlant aucune langue compréhensible, trouvés ici et là, sur des plages de la mer du Nord.
    — Encore faudrait-il savoir de quoi il s’agissait exactement, mais l’âme doit dominer toute réflexion inspirée par quelques parentés physiques aussi troublantes soient-elles.
    Ils s’étaient accoudés tous les trois au bastingage. L’eau était d’un vert profond. Jean se retourna, s’étira les bras puis s’appuya sur les coudes en se croisant les jambes, les regardant en biais d’un air désinvolte.
    — Il y a quelques années, une caraque embouquait le canal de Mozambique, pas très loin d’ici donc. Les maîtres et les principaux passagers ont signé un rapport collectif attestant qu’ils avaient vu passer près de leur bord un monstre marin. Il avait une effroyable grandeur et il grondait horriblement.La bête portait un bouclier rond devant sa tête et une selle sur le dos.
    — Les hommes voient ce qu’ils veulent voir, Jean.
    — Tu as raison, Antão. C’est pour cela qu’une règle prudente exige que les commissaires de l’arsenal de Venise chargés des inventaires jurent avoir touché ce qu’ils disent avoir vu.
    — Le monstre aurait-il pu être l’un de ces météores marins souvent décrits, une colonne d’eau se perdant dans les nuages ?
    — Je serais enclin à le penser. Mais le bouclier ? La selle ? Une hallucination ou une

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