L'arbre de nuit
autour de châteaux de sable ne les réveillait pas. Seuls les coups de pieds du gardien parvenaient à les émouvoir quand revenait leur tour.
Le 13 août à l’aube, la terre apparut sur bâbord avant, découvrant un littoral de rochers et de dunes souligné pardes récifs sur lesquels la mer brisait avec force. Le pilote sembla satisfait de ce paysage peu engageant et ordonna de longer la côte jusqu’au soir, espérant y trouver avant la nuit l’un des abris indiqués par le routier. Courant un bord vers le large par mesure de précaution, la caraque revint en vue de la côte le lendemain à l’aube. Concentré sur son portulan, scrutant le paysage, revenant au routier, se perchant dans la hune pour voir plus loin, maître Fernandes montra tout à coup du doigt à une heure de l’après midi une ouverture dans les déferlantes qui marquaient le récif. Elle soulignait un îlot qui se détachait du rivage. Il ordonna de se diriger vers lui. La nau fut trois heures plus tard à l’abri de ce qu’ils avaient pris pour un îlot, une presqu’île en réalité, reliée à la terre ferme par un cordon rocheux au ras de l’eau, qui protégeait une petite baie de la houle d’est et du vent. On ferla rapidement le restant de voilure et les embarcations furent mises à l’eau dans une grosse houle lisse qui ne brisait pas.
Précédée d’un canot chargé de sonder et d’annoncer des bancs de sable qui semblaient aussi perfides que les Cachopos du Tage, la caraque franchit en fin d’après-midi un étroit passage à la remorque de ses chaloupes dont les armements avaient trouvé un restant d’énergie dans la senteur lourde d’humus et de végétation qui les faisait frémir d’émotion. Elle entra lentement dans une anse abritée où elle mouilla.
La chute de la grande ancre réveilla une nuée d’oiseaux aux cris perçants et dérangea une famille de loups marins qui détalèrent dans des gerbes d’eau. Quand les oiseaux consentirent à se taire tous ensemble, un silence absolu s’abattit sur la petite baie, comme si le temps s’était arrêté. La profondeur de ce silence blanc les surprit comme une étrangeté. Ils vivaient dans un vacarme continu depuis cent quarante jours, dont les trente derniers dans le hurlement ininterrompu de la tempête. Ils entendirent alors bourdonner leurs oreilles. La disparition brusque des sons de leur environnement sensoriel les déstabilisait et cette vibration à l’intérieur de leur crâne leur donna l’impression indistincte d’un malaise. Leur équipage de zombis arrivait d’un monde indicible.
Na era do nascimento de Nosso Senhor Jesus Cristo de 1488, O mui alto, mui excelente et poderoso Principe el Rei D. Joào II de Portugal, mandou descobrir esta Terra et por estes padroes por Bartolomeu Dias, Escudeiro de sua Casa.
Ayant gratté de leurs couteaux les lichens qui l’avaient colonisée, ils déchiffraient l’inscription lettre après lettre, en s’étirant le cou, en revenant en arrière, recommençant à plusieurs reprises l’enchaînement de leur lecture hésitante car elle était à contre-jour. Les soldats s’étaient jetés le sabre haut sur un arbuste parasite que l’on voyait depuis le mouillage, dont les branches hachées jonchaient le sol. Ses larges feuilles épaisses et veloutées d’un vert amande étaient portées par des branches molles retombant jusqu’au sol à la manière d’un figuier. Juste en retrait de la crête qui mettait la végétation à l’abri de l’air marin, il était parvenu à s’imposer et à tenir tête contre le vent océanique. Il semblait issu d’un fût gris contrastant avec la fluidité de cette masse ligneuse enchevêtrée. Maître Fernandes avait désigné d’un geste vif la colonne de pierre qu’ils prenaient pour un tronc.
— Voyez ! C’est un padrão, un signal portugais. Notre signature. L’arbre a poussé à proximité. Il a pris appui surlui et ses branches l’ont comme absorbé. C’est la raison pour laquelle on ne le voit plus ni de la mer ni du point de mouillage.
Le pilier cylindrique était un peu plus grand qu’un homme. Sa tête était taillée en forme de parallélépipède plus large que le fût, comme une caisse à rouets de tête de mât. Les découvreurs emportaient dans leurs cales ces signaux de pierre depuis que dom João Second avait ordonné d’attester dorénavant l’avancée lusitanienne le long du littoral de l’Afrique par des marques durables. Elles
Weitere Kostenlose Bücher