L'arbre de nuit
Cristóvão. Mozambique était bloquée depuis un mois par une flotte batave d’au moins dix vaisseaux de guerre qui avaient débarqué des troupes et des canons d’assaut. Les Cafres allaient probablement se retourner contre les Portugais. La forteresse était sur le point de céder.
Les informations sur l’armada étaient catastrophiques. Les circuits immatériels de l’information africaine avaient apporté à Angoche la nouvelle que Nossa Senhora d’Ajuda qu’ils avaient perdue de vue près de Madère avait fait naufrage près du château de la Mine dans le golfe de Guinée. La plupart de ses gens s’étaient sauvés mais ils y avaient contracté le bicho , la rectite gangreneuse endémique au Ghana. Cet ulcère vermineux de l’anus gagnait le côlon. Son issue fatale était horriblement douloureuse.
Les deux capitaines avaient d’autres désastres à rapporter. Dom Cristovão leva les sourcils d’un air dubitatif et se carra dans son fauteuil pour montrer qu’il assumerait la situation. Les coutures du galion Espiritu Santo qui avait relâché à Recife pour calfater n’avaient pas tenu. Il s’était ouvert et avait coulé dans la tempête au large du cap de Bonne Espérance avec tous ses gens. Sauf seize, dont le capitaine et le pilote qui s’étaient honteusement sauvés en chaloupe. Le plus forcené de ces misérables, le maître d’équipage, avait coupé à la hache les mains qui s’agrippaient au plat-bord de l’embarcation. Ils étaient parvenus à Mozambique.
— Je les ferai arrêter sur-le-champ. On les pendra !
— Ayant eu la perspicacité de ne pas attendre ton verdict, dom Cristovão, ils ont disparu. Et quant à pendre quiconque, je te rappelle que les Hollandais nous interdisent pour l’instant l’accès au gibet de Mozambique.
Noronha pianotait de la main gauche sur le bras de son fauteuil et jouait nerveusement de la dextre avec son sautoir de perles et d’or.
— Quoi d’autre ?
Il apprit encore que la Palma , son ancien navire, s’était échouée à Mogincual, un peu plus haut, à quelques lieues de Mozambique. Ayant immergé trois cents morts du scorbut au cours de sa traversée de l’Atlantique, elle n’avait plus assez d’hommes valides pour virer de bord et elle avait été drossée sur les récifs. Le galion Bom Jesus qui avait lui aussi manqué le changement de route de Madère venait d’être pris par les Hollandais. Son capitaine, Francisco Sodré Pereira, étaittombé dans le piège en se présentant devant Mozambique. Tentant de fuir mais rattrapé, il s’était rendu quand un lieutenant à ses côtés avait eu un bras emporté par un boulet. Appareillant sous pavillon hollandais avec un équipage de prise, le navire s’était empalé sur les récifs au nord de la grande passe où il avait été incendié.
— A-t-on des nouvelles de la grande Nossa Senhora da Oliveira ? Est-elle parvenue à franchir le canal ?
— La caraque était poursuivie par des vaisseaux hollandais. Elle s’est échouée volontairement. Son équipage a sauvé le cavedal, et l’a incendiée avant qu’elle fût prise.
— Le trésor royal est sauf. C’est déjà ça.
Ce n’était pas terminé. Ils savaient depuis huit jours par une poignée de rescapés parvenus à Angoche à bord d’un boutre arabe que la Salvação avait été mise intentionnellement à la côte près de Melinde par Manuel Veloso et António Alvares, son pilote et son maître dévoyés qui s’étaient enfuis en chaloupe avec le cavedal.
— L’Afrique et l’Arabie sont vastes mais les oreilles et les yeux innombrables y sont devenus extrêmement sensibles pour quelques poignés de réis. Ils n’iront pas très loin sans être retrouvés.
— Ou leurs cadavres dépecés par les anthropophages.
Il fallait certes que les traîtres fussent un peu fous pour espérer acheminer leur butin à travers l’entrelacs des réseaux de traites des esclaves, des perles, des armes, de l’ivoire et de l’or qui proliféraient en marge de l’organisation portugaise. Les quatre cents hommes de la Salvação qu’ils avaient abandonnés à leur sort s’étaient mis en marche le long du rivage vers l’Arabie, harcelés par les Éthiopiens. La cargaison de trois cents esclaves s’était fondue dans la nature. Un petit groupe de Portugais était parvenu à Angoche à bord d’un boutre omanais qui se rendait au Monomotapa chercher une cargaison d’esclaves. Ils avaient d’abord relâché dans
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