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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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faire obstacle, jusqu’aux meubles du gouverneur.

    Outre le galion São Jerónimo et la forteresse invaincue, restaient intacts à leur arrivée les fameux arbres à cocos que la plupart des passagers regardaient pour la première fois avec le bonheur que l’on éprouve en voyant de ses propres yeux des paysages ou des choses inimaginables que l’on connaît par ouï-dire. Les chauvins de l’Algarve objectèrent comme d’habitude qu’ils avaient chez eux des arbres à palmes beaucoup plus beaux que ces bizarreries. Que ces troncs interminables dénonçaient des végétaux dégénérés. Qu’ils étaient extrêmement déçus. Quand ils sentirent qu’ils énervaient leurs compagnons de voyage en gâchant leur plaisir, ils proclamèrent à grandes embrassades qu’ils n’avaient jamais vu aucun arbre aussi haut ni aussi étrange. C’était trop tard. En arrière de la foule qui leur tournait le dos, ils continuèrent à voix basse à se confirmer l’un l’autre que leurs palmiers étaient des arbres plus dignes d’intérêt que ces champignons. On les traita de culs palmés et on ne leur adressa plus la parole pendant plusieurs semaines.
    Toute la matinée, les passagers débarquèrent avec leurs balluchons, les femmes retroussées jusqu’aux genoux, pataugeant depuis les embarcations échouées par petits fonds. Ataíde, le gouverneur indomptable, les rejoignit à deux heures après midi sur la plage au pied des ruines du vieux fort São Gabriel détruit lors du siège précédent, pour accueillir le capitaine-major. Toujours bardé de fer, il planta son épée nue dans le sable comme s’il était prêt à courir aussitôt aux remparts.
    Transpirant dans son pourpoint de velours noir et ses passementeries dorées, dom Cristóvão débarqua à pied sec, porté à bras par deux marins jusqu’à la plage. Tout héros des quarantièmes sud qu’il était, il lut dans le regard pétillant du chevalier en armure le ridicule de son débarquement douillet, en complet décalage avec l’environnement. Il comprit que les navigateurs de passage, soucieux de protocole et imbus de leur état particulier, n’avaient pas l’allure assez guerrière pour être traités avec considération à Mozambique. Le discours lapidaire de bienvenue le fixa sur ce point.

    Dans un formidable éclat de rire, dom Estêvão lui jura d’abord que s’il ne lui demandait rien pour la flotte, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour le lui procurer au plus vite. Mozambique était rasée et ses magasins étaient vides. Il se réjouissait par contre du renfort de trois navires armés qu’il venait de lui apporter, et il attendait d’eux de la poudre et des boulets. Le gouverneur décrivit ses hommes contents de cette misère, survivant aux fièvres, supportant la chaleur et mille petites plaies quotidiennes. Ils vivaient mal nourris été comme hiver, dans un environnement affreux aggravé par une population laide et misérable, mal aimés de leurs hôtes accidentels qui les tenaient pour responsables des malheurs de leur hivernage. Ils ne revendiquaient d’autre gloire que de servir aux avant-postes de l’empire dans une île longue de seize cents toises et large de quatre cents, catholique et blanche, accrochée au flanc de l’Afrique dont ils entendaient au loin les lions rugir et les anthropophages battre leurs tam-tams.

    L’île perdue ne produisait rien sinon des cadavres, tellement pourrie de fièvres que son seul nom faisait trembler d’effroi les marins obligés d’y séjourner quelques mois. Dom Estêvão acheva une péroraison lyrique dans une belle envolée que n’aurait pas reniée Camões :
    — Entre les appareillages pompeux de Lisbonne et les arrivées triomphantes à Goa la Dorée, la garnison de Mozambique maintient dans le sang, la poussière, la sueur, les anthropophages, les moustiques et les mouches un maillon de vil métal dans la chaîne dorée de la Carreira da India. Bienvenue en enfer, dom Cristóvão !

Alors qu’elles rassemblaient leurs affaires dans un grand chambardement de leur petite chambre, dona de Galvào qui bousculait sa paillasse devint brusquement fébrile et demanda d’une voix affolée que l’on approche un banc sur lequel elle monta péniblement. Quelques instants plus tard, il fut clair qu’une bague qu’elle disait avoir dissimulée sous le mince matelas de sa couchette du haut avait disparu. Elle tituba et perdit connaissance, rattrapée de justesse par Jeronima

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