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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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chose inconnue ? Que savons-nous du fond des mers ? À peu près rien.

    Ils n’en surent pas plus ce jour-là car on appela l’équipage et les hommes valides à hisser la grand-voile que l’on avait achevé d’enverguer. La voile neuve monta dans un effort collectif qui rassembla de bon cœur toutes les énergies. En transfilant la rechange de la voile d’artimon sur l’étai du grand mât, les gabiers avaient établi sur l’avant une voile axiale triangulaire, une manière de trinquette qui tiendrait lieu de misaine mal fichue mais convenable. Arborant à nouveau la croix des Chevaliers du Christ dans le ciel africain, Nossa Senhora do Monte do Carmo était digne d’honorer Marie, sa patronne.
    La messe de l’Assomption put commencer. Le provincial avait posé sur l’autel recouvert de soieries bleues et blanches un portrait identifié comme étant celui de São Lucas. Les litanies remercièrent Marie de son intercession dans l’épreuve passée et la supplièrent de rester vigilante. Neuf grumètes parmi les plus jeunes tenaient des cierges allumés, sous l’œil noir du sergent qui s’énervait de l’habitude des religieux d’allumer partout des flammes incontrôlées sous prétexte de dévotion. La procession qui suivit fut la plus belle de toutes celles organisées à bord depuis le départ, surtout depuis que la mer dérangeait leur ordonnance. Elle fut aussi la plus fervente parce qu’approchait la Juive.

Mozambique

Le lendemain à l’aube, la caraque sortit à la remorque des chaloupes. Le maître ordonna de déferler l’artimon et le grand hunier, et de faire servir la grand-voile. La navigation reprit son cours presque normal en route à l’est. La mer restait énorme mais elle ne leur faisait plus peur.
    Le recalage sur la baie São Bras mettait en principe le pilote-major à l’abri des énormes erreurs d’estime menaçant les navires qui franchissaient le cap des Aiguilles sans voir la terre. L’incertitude sur la longitude rendait les chemins d’ouest en est très incertains. L’art du pilote et des saints intercesseurs était de faire virer les caraques au bon moment pour embouquer le canal de Mozambique. Ni trop tôt ni trop tard. La malchance était de choisir par hasard, parmi tous les points tournants possibles, celui qui menait droit sur les écueils, les basses de l’Inde qui infestaient le passage. Quand il ordonna de venir en route au nord-est puis au nord-nord-est, maître Fernandes jugeait que la route était claire jusqu’à Mozambique. Ou du moins un peu moins opaque.
    Les équipages redoutaient particulièrement un tore presque parfait de dix lieues de tour aperçu pour la première fois par Lopo de Abreu qui l’avait baptisé du nom de sa caravelle. Baixios da Júdia, les récifs de la Juive. Des écueils mythiques.Un anneau fin de madrépores au ras de l’eau, enserrant un lagon aux eaux de jade. Une île stérile qui ne servait à rien, sinon à tuer. Le routier mettait aussi les pilotes en garde contre João de Nova qui faisait trembler les marins les plus fanfarons. « Quand tu te trouveras à cette hauteur et que tu verras des quantités d’albatros, sache que tu es à proximité de l’île de João de Nova. Et si tu vois les albatros par groupes de six ou sept, tu en es à une dizaine de lieues, parce qu’ils y viennent de loin pour se nourrir. »

    Quand il ordonna de mettre le cap sur Mozambique, maître Jose Baptista raconta aux usagers de la dunette les drames survenus dans ses parages. On venait de publier à Lisbonne la relation par un certain Manuel Godinho Cardoso de la perte du Santiago. Il y avait presque vingt ans jour pour jour, le 19 août, alors que l’on venait de fêter à bord l’heureux passage de la Juive, le galion s’était écrasé sur João de Nova dans le premier sommeil. Le naufrage avait fait dans les quatre cents victimes.
    — Quatre cents noyés ! gémit un fidalgo d’une voix blanche.
    — La plupart n’ont pas eu le temps de se noyer. Ils ont été déchiquetés par les requins. Ils arrivent de partout dans ces parages régulièrement alimentés en nouveaux naufragés.
    — On n’en réchappe jamais ?
    — Ça dépend. Le galion São João a été réduit en un instant en charpie, en pulpe de bois et en esquilles d’os. Les gens de la Conceiçào , un autre galion perdu sur João de Nova, ont pu gagner la terre. Ils ont accompli une longue pérégrination à travers un territoire hostile. Quelques-uns

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