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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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les ports négriers de Zanzibar et de Kilwa. En arrivant devant Mozambique, ils avaient découvert avec consternation la flotte batave et ils avaient poursuivi leur route vers le sud.
    — C’est à ce moment que nous les avons rencontrés. Ils nous ont empêchés par miracle de tomber à notre tour dans la nasse hollandaise.
    — C’est tout ?
    Dom Cristóvão venait de bondir de son fauteuil, les deux poings sur la table, l’œil haineux. Il avait vaincu le scorbut. Il avait échappé au naufrage de la Palma en la quittant pour prendre ses fonctions de capitaine-major à bord de l’amirale. Et tout cela ne servait à rien. Sa bonne fortune s’effondrait parce qu’il allait devoir rendre compte de la perte de trois des quatre grosses caraques et de deux galions sur huit. Et encore, sous réserve que São Jeronimo , São Marcos , Nossa Senhora da Conceção et São João Evangelista soient parvenus à passer en Inde avant le reflux de la grande mousson. Et trois cents esclaves de la caraque négrière perdus. Et tous les trésors monétaires royaux des navires naufragés.
    Il se rassit en serrant les poings sur les têtes de lions qui défendaient son fauteuil en son absence. Il rejeta la tête en arrière, ce qui mit sa collerette plissée en grand désordre. L’émiettement de sa flotte n’était pas de nature à lui valoir les honneurs qu’il méritait après tant de courage et de peines. Il n’était pour rien dans le triste sort des bateaux perdus par fortune de mer ou par baraterie, débandés avant qu’il prenne le commandement de la flotte. Mais il serait son responsable en titre quand les fonctionnaires pointilleux de la Casa en établiraient le bilan. Il dénombrait à Lisbonne assez d’ennemis sans compter ceux qui le haïssaient à la cour, rendus tous encore plus jaloux par sa promotion inopinée, pour prévoir qu’on lui ferait endosser tous les malheurs. Le désastre d’une des armées navales les plus pitoyables de l’histoire de la Carreira da India. Sa disgrâce serait très injuste car les plus nobles et les plus courageux courtisans de Lisbonne n’imagineraient même pas l’enfer qu’il avait traversé ni les tempêtes qu’il avait vaincues.

    Dans le décor misérable de ses appartements que les charpentiers n’avaient pas encore débarrassés de leurs barricades, cette vaticination excitait son dépit d’être passé sans y prendregarde du rang de dignitaire omnipotent à celui d’inculpé potentiel d’impéritie devant un conseil d’enquête. Les comptes allaient être épluchés avec un soin particulier ! L’idée se planta brusquement dans sa tête comme une banderille de feu. Les charges aussi importantes que celle du capitaine-major justifiaient des revenus en rapport. Les prélèvements dans l’énorme masse monétaire qui circulait à bord, le négoce personnel et les bénéfices sur les transactions officielles étaient dans l’ordre des choses. La bienveillance souveraine se manifestait ainsi envers ses grands serviteurs sans affecter la cassette royale. Le corollaire de cette tolérance était que la souplesse de la reddition des comptes conduisait aussi vite à la fortune qu’à la perte des charges et la confiscation des biens voire à un ergastule aussi profond et noir que l’oubli selon l’état d’esprit du vice-roi du Portugal. Et, justement, le marquis de Castelo Rodrigo serait de très méchante humeur quand il apprendrait le sort funeste de sa flotte. Jusqu’au vice-roi des Indes mort en mer au moment où la Hollande venait de déclencher une nouvelle offensive d’envergure contre l’empire !

    À court terme, la situation n’était pas plus souriante que l’avenir lointain. Non seulement la mousson sèche mais aussi une puissante flotte batave se dressaient entre lui et Goa. Il disposait d’une trentaine de pièces d’artillerie par navires, servies par des canonniers désinvoltes et jamais entraînés, occupés à tout sauf au service des armes, d’ailleurs solidement arrimées et ensevelies sous les rechanges et les bagages. Sa puissance de feu serait dérisoire s’il devait affronter une dizaine de vaisseaux armés en guerre. La fuite étant exclue dans le piteux état de la caraque, faudrait-il se battre pour l’honneur, s’incendier ou se rendre ? Un influx de sueur froide lui mouilla le dos quand il imagina que la flotte entière dont il avait la charge pourrait bien disparaître en fin de compte. Le maître canonnier fit

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