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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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les frais de la colère du capitaine-major.
    — Fais ouvrir les mantelets des sabords et dessaisir l’artillerie. Tu feras jeter à la mer tout ce qui gênerait sa mise en batterie. – Il lui hurlait à la figure. – Fais exercer jour et nuittes fainéants au service des pièces sous peine de voir ta tête servir de boulet lors de la première salve ! J’allumerai moi-même l’amorce avec plaisir.

    Le cent cinquante-septième mort du scorbut fut immergé sur les cinq heures du soir, par routine et par paresse d’aller lui creuser une tombe à terre. Le corps était à peine à l’eau qu’il se dressa brusquement, générant un hurlement collectif tout le long du plat-bord, le cri rauque de terreur animale que l’on pousse d’instinct quand la mort s’approche. Le cadavre que l’on avait pris pour un mort vivant s’enfonça d’un coup dans la mer dans un tourbillon écarlate. Les requins veillaient alentour.

Sur la terrasse du bastion São João qu’ils rangeaient sur bâbord, dom Estêvão de Ataíde, le gouverneur de Mozambique, accompagna d’un geste viril du bras le coup de canon minimal répondant chichement à leur salve tonitruante. Il était en cuirasse et coiffé d’un morion pour rappeler qu’il était sur le pied de guerre.
    L’île calcinée sentait encore l’incendie. Les épaves échouées du Bom Jesus et d’un vieux galion désarmé achevaient de se consumer en dégageant une fumée noire et une sale odeur d’huile et de goudron. Au loin, comme une apparition miraculeuse allumée par les premiers rayons du soleil, le galion São Jerónimo était tranquillement embossé au fond de la baie. Son pilote avait conseillé ce mouillage dans les eaux saumâtres de l’embouchure d’un petit fleuve, pour tuer les tarets qui creusaient leurs galeries dans les coques. Hors de portée de l’artillerie hollandaise à l’opposée de la grande passe qu’ils venaient d’embouquer, ses canons et sa mousqueterie avaient découragé les chaloupes armées en guerre qui avaient tenté plusieurs fois l’abordage. Les quelque cent vingt-cinq hommes en mauvais état constituant la garnison de la forteresse venaient de résister vaillamment à deux mille Hollandais et Zélandais bien nourris arrivant d’Amsterdam via Sainte-Hélène. L’amiralWillemsz Verhoeven avait levé le siège et décampé, trompé par l’annonce que la flotte portugaise arrivait tout entière, supérieure en nombre, en bon ordre et prête au combat. La nouvelle de l’arrivée des galions portugais à Angoche s’était transformée en rumeur alarmante en volant d’un tam-tam à un autre, amplifiée finalement à titre de précaution par un interprète affolé.

    L’année précédente, les trente soldats de la garnison, la vingtaine d’habitants plus ou moins métissés et la trentaine de supplétifs cafres de dom Estêvão de Ataíde avaient déjà repoussé les quinze cents hommes de Paul van Caerden débarqués en grand tumulte. Vendant prématurément la peau de l’ours avant de l’avoir tannée, l’amiral hollandais avait eu l’imprudence de faire par fanfaronnade hommage de Mozambique aux États généraux des Provinces Unies avant même son appareillage d’Amsterdam. Dom Estêvão venait encore de tenir bon contre la Réforme avec l’aide du ciel. Avant de rembarquer, les assaillants dépités avaient mis le feu à ce qui restait debout de l’embryon de bourgade après un mois de siège. Depuis le pillage et les profanations de la dernière incursion batave, les images saintes et le mobilier sacré de la Miséricorde, de l’hôpital, de l’église São Gabriel et du couvent de São Domingos avaient été mis à l’abri dès l’apparition de l’escadre hollandaise.
    L’inspection des défenses de Mozambique était une litanie. Nossa Senhora do Baluarte , São João , São Gabriel et Santo António veillaient sur les bastions et les remparts placés sous leur protection. Les deux derniers surtout avaient été à la peine quand plus de trois cents coups de canons de siège avaient effondré la muraille principale qu’ils encadraient sur le glacis. La brèche était tellement béante que les assaillants n’avaient pas osé s’y ruer tout de suite, craignant un piège. São Gabriel et Santo António avaient sans doute guidé les assiégés de leurs conseils, puisqu’il avait suffi d’une nuit fébrile pour y ériger une barricade en y jetant des sacs de sable et de terre et tout ce qui pouvait

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