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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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Jean-Baptiste, le secrétaire génois du comte da Feira, fers aux pieds. Il se dit accusé de détenir des pamphlets contre le gouvernement des Indes, ce qui était stupide puisqu’il était l’homme de confiance du défunt vice-roi.

    Au bout d’environ une heure, un ouvidor accompagné d’un greffier réclama leurs passeports. Jean les exhiba en refusant de les remettre au juge, alléguant qu’ils servaient tous les deux à bord de la caraque amirale par privilège du vice-roi du Portugal. On les débarrassa enfin de leurs entraves et ils furent conduits, libres de leurs mouvements, devant legouverneur. Au débouché d’un escalier malcommode car ses marches de pierre étaient trop hautes, ils comprirent l’origine de leur mésaventure en reconnaissant, le menton haut et l’œil glorieux, le haut fonctionnaire de la monnaie de Goa qu’ils avaient délogé en s’installant à bord.
    Dom Estêvão portait une tunique courte en toile bise maculée des auréoles laissées dans la poussière par cent suées nobles pour la cause du Portugal, encore mouillée de la dernière à l’emplacement de la cuirasse qu’il venait de quitter. Il l’avait déposée à portée de la main sur une table basse avec son casque et son épée, sous un grand crucifix d’ébène et d’ivoire, comme l’arme et le chambergo d’un torero de rejon en veillée de prière. Ses cheveux étaient hirsutes et trempés de sueur. Il était jambes nues et semblait en chemise de nuit. Ayant lu attentivement leurs sauf-conduits en fronçant les sourcils tandis que le fidalgo venimeux lui parlait à l’oreille, il les jeta sur la table encombrée de registres et il commença à jouer avec une dague. Jean remarqua qu’il était gaucher. Il les fixa l’un après l’autre dans les yeux, le regard dur.
    — À Mozambique, la seule place assignée aux luthériens est le pilori.
    — Nous sommes bons catholiques. Nos passeports ont été signés du comte de Castelo Rodrigo, vice-roi du Portugal, à la demande expresse du comte da Feira que je servais comme médecin. Tout le monde sait cela à bord de l’amirale et le capitaine-major dont je suis l’apothicaire sera très mécontent de notre traitement.
    — Ici, ce n’est pas le capitaine-major qui commande, c’est moi. Même si ma mise de soldat est plus modeste que la sienne, j’ai tous les pouvoirs. Tes connaissances savantes, nous les vérifierons tout à l’heure. Quant à ta nationalité, elle est une référence pire que l’éventualité de ton hérésie. Je vais te dire pourquoi les étrangers en général et les Français en particulier ne sont pas les bienvenus dans cette île ravagée, humiliée, profanée d’année en année.

    Le gouverneur se leva et se dirigea à pas raides vers l’une des étroites ouvertures sans fenêtres qui donnaient le jour àla pièce aux murs nus à laquelle le crucifix donnait une allure d’oratoire. La table et six chaises à bras recouvertes de cuir de Cordoue constituaient le seul mobilier de ce cabinet de travail d’une austérité médiévale. Appuyé contre l’encadrement de pierre, il regarda rêveusement au-dehors, frappant la paume de sa main droite du manche de son long couteau d’arme dont il tenait la pointe de la lame entre le pouce et l’index. De l’étage où ils se trouvaient, la vue portait sur le mouillage et, au-delà des mâts des trois naus, sur la terre ferme.
    — Pendant les derniers jours du siège, cinq soldats catholiques ont déserté les rangs ennemis et m’ont demandé asile. Mon honneur m’interdisait de livrer des réfugiés placés sous ma protection. Le général hollandais a, sous mes yeux, fait éclater à coups de mousquets les têtes de dix des nôtres pris en otages. Il y avait parmi eux le gardien et le contremaître de Nossa Senhora de Consolação , une caraque de la flotte de l’année dernière à l’hivernage depuis un an. Son équipage n’était plus en état de résister. Des chaloupes l’avaient capturée et prise en remorque.
    On eût dit qu’il observait l’escadre hollandaise au mouillage et les mouvements des assaillants.
    — Les Hollandais nous ont crié avec des gestes obscènes qu’ils exécutaient dix Portugais contre cinq déserteurs parce que deux d’entre nous ne valaient pas un des leurs, même s’il était catholique. Que nous étions devenus les valets de nos maîtres castillans. Que nous n’étions même pas dignes d’être les bâtards des générations

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