Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
Vom Netzwerk:
bananes, de coings et d’ananas et la spécialité goanaise : les bebincas feuilletés à la cardamome et au lait de coco.

    Elle réalisa avec étonnement qu’il ne l’avait pas interrogée sur son voyage. Elle en fut contrariée un instant car elle avait beaucoup à en dire, puis heureuse à la réflexion. Elle choisit de ne pas aborder elle-même le sujet. Elle aurait risqué de révéler accidentellement sa longue familiarité avec François. Cette fréquentation n’était pas répréhensible certes, mais c’était un souvenir à elle. Et puis elle avait compris au cours de son apprentissage des usages de la société goanaise que la jalousie des hommes y était légendaire.
    À ce moment, une Cafre d’un noir intense lança d’une voix rauque une mélopée reprise par deux autres femmes, dont une s’accompagnait d’une cithare dont le manche s’achevait en tête de dragon. Elle les trouva belles toutes les trois, d’une finesse et d’une élégance extrêmes, et elle imagina que leur chant exprimait leur regret de l’Afrique. Elle eut d’un coup une bouffée de nostalgie du Portugal. À l’autre bout, derrièreles pyramides de fruits et de sucreries, Alvaro s’interrogeait sur l’opportunité d’appeler auprès de lui deux petits-cousins de seize et dix-sept ans, pour parfaire aux Indes leur éducation de fidalgos. Elle s’en aperçut juste à temps pour prendre un air préoccupé suggérant qu’elle pesait l’intérêt et les dangers d’une telle initiative. Le petit page qui devait à sa tignasse crépue le surnom de Flocoso – floconneux – chassait avec énergie les mouches qui aspiraient la confiture à ne plus pouvoir s’envoler. Un peu de moscatel de Setúbal pour marquer leur premier dîner l’avait rendue un peu grise parce qu’elle n’avait pas l’habitude du vin.
    *
    Le plancher de bois de fer d’une obscurité luisante était jonché de tapis de Perse resplendissant sur ce fond couleur d’anthracite. Leurs reflets métalliques indiquaient qu’ils étaient tissés de soie. Un amoncellement de couettes et de coussins duveteux couvrait un lit de sangles dont les pieds en bois tourné laqués en rouge se prolongeaient en colonnettes soutenant les quatre sommets d’une moustiquaire vaporeuse. Le mur lui faisant face exposait une tenture de coton blanc imprimé en indigo et en garance du motif indien de l’arbre de vie. Au-delà du symbole, il rappelait que Madras détenait l’art mystérieux, inconnu ailleurs, de fixer les couleurs de teinture.
    Le dimanche 24 mai à deux heures après minuit, Margarida constata que, aussi prévenant que son frère Fernando, Alvaro ne rendait pas les relations intimes plus remarquables.
    Après qu’elle l’eut raccompagné de quelques pas quand il regagnait sa chambre, elle marcha vers l’arbre de vie. Son index remonta ses branches comme mû par un tropisme qu’elle ne contrôlait pas. La pulpe de son doigt enregistrait le toucher de la toile fine. C’était agréable et doux. Rêveuse, elle conclut que cette absence de sensation pouvait trouver trois réponses. Ou bien l’on mentait effrontément sur uneaffaire banale, ou bien une certaine perversion dont elle et ses deux maris successifs ignoraient tout pouvait ajouter du piment à ces ébats, ou bien il lui manquait un sens, comme on peut être sourd ou aveugle.
    Bien sûr, il y avait ce rêve étrange à Mozambique, qui l’avait laissée moite d’une intense émotion intérieure. L’arbre se perdait hors de portée de son geste, orteils déployés et bras tendu. Au-delà donc de sa capacité de réflexion. Puisque rien n’était changé sur le plan de son intimité conjugale, elle décida de cesser de se torturer l’esprit. Elle allait profiter sans réserve de la vie goanaise que lui offrait son remariage. La vie mondaine allait atteindre un paroxysme avec l’intronisation dans quelques jours du nouveau gouverneur. Elle tapota les coussins et les remit un peu en ordre, jeta au pied du lit la couette incongrue à cette saison et, à genoux sur le lit, borda soigneusement sa moustiquaire. Elle s’endormit aussitôt.

André Furtado de Mendonça était arrivé à forces de rames, venant de Mangalore où l’avaient atteint l’annonce de la mort du nouveau vice-roi et la décision royale de lui confier la continuité du gouvernement des Indes. La galère l’avait déposé à Panjim où il venait de gagner le couvent des Reis Magos.
    Les Mendonça avaient bien servi

Weitere Kostenlose Bücher