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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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volets déformés qui obstruait les deux fenêtres. Plus exactement les ouvertures striées de barreaux qui en tenaient lieu. Une colonie de blattes surprises par la lumière se dispersa derrière les registres. Peut-être nichaient-elles à l’intérieur, pensa François qui ne se souvint pas si les cafards se nourrissaient de papier comme les fourmis blanches. Parce que, dans ce cas, il ne devait pas rester grand-chose derrière les couvertures de cuir. Il passa le doigt sur l’un des dos nervurés et le retira enduit d’une poussière grasse d’un vert de bronze dont il flaira sans surprise l’odeur de moisi.
    Il serait facile de dégager assez d’espace pour s’installer à l’aise, et l’aération du local le rendrait rapidement aussi sympathique que l’atelier de Dieppe. Les grands registres lui rappelaient la bibliothèque de Guillaume Levasseur. Le courant d’air contribuerait à la conservation de ces archives en perdition. Un coup d’ongle lui confirma que les barreaux étaient de bois tourné et non de métal. Il demanda que les trois coffres bardés de fer empilés dans un angle de la pièce fussent emportés ailleurs.
    — Ne me dis pas que tu crois toi aussi à l’idée saugrenue d’une influence du fer sur les aiguilles marines.
    — Pas plus que dom João de Castro, maître Gaspar. Mais pas moins. C’est lui qui a constaté cette attirance étrange et qui a appelé à la vigilance. Et nous l’avons vérifiée à bord de notre caraque, quand les grilles du palais de l’archevêque ont été déposées dans la timonerie, à proximité du compas de route. Maître Fernandes te l’a-t-il raconté ?
    — Oui, en me parlant de toi et de tes compétences. Je ne parviens pas à imaginer quelle capacité aurait le fer de déranger l’attraction cosmologique de l’étoile Polaire. Mais après tout, ce que nous te demandons est de ranimer nos aiguilles. Tes lubies sont ton problème.
    — Le tien aussi, maître, si tu partages comme je l’imagine mon souci de te rendre des aiguilles justes.
    Ils débattirent alors de la meilleure façon d’étalonner un compas de référence. La méthode de la médiane des ombresau lever et au coucher du soleil le même jour était impossible à pratiquer à terre faute d’horizon, et un instrument d’ombre selon Pedro Nunes était délicat à construire et à étalonner. Restait donc, suggéra François, à se référer au compas maître de Nossa Senhora do Monte do Carmo , dont il avait soigneusement établi la variation jusqu’à ce que la côte indienne lui cachât l’horizon au lever du soleil. Il fut convenu qu’il irait le lendemain après-midi le chercher à bord de la caraque, muni d’un sauf-conduit signé de l’intendant.

    Ils avaient été rejoints de mauvaise grâce par l’officier responsable des archives. Il se moquait totalement de leur sort et semblait tout à fait étranger à cette intrusion qui ne le dérangeait pas. L’annonce qu’un fourneau à charbon de bois serait installé au milieu d’elles le laissa de marbre malgré les risques d’incendie. Il attira à lui un registre, déclenchant une petite avalanche de poussière, d’oubli et d’écailles de peinture à la chaux tombées du mur lépreux. La pièce avait été ocre naguère, et le substratum réapparu là où s’était écaillée la chaux dessinait en champlevé un profil grotesque sur le fond blanc de la paroi. Jetant le gros volume sur la table, l’officier fit observer d’un air désabusé que, même avec la plus grande malveillance, il serait impossible d’enflammer ces blocs de papier compacts, dont les pages gorgées d’eau lors de chaque saison humide étaient racornies et soudées entre elles par la chaleur des saisons sèches. De toutes façons, ajouta-t-il, bien malin serait celui qui parviendrait à en tourner les pages sans les réduire en farine. L’archiviste se préparait à rentrer au Portugal, et son aigreur venait de l’impossibilité qui avait été la sienne de retirer quelque profit que ce fût de ses fonctions, ni de monnayer un tant soit peu l’accès interdit à ses dossiers confidentiels qui n’intéressaient que les blattes.

    Sur les cinq heures du soir, François fut maître d’un atelier chargé de mémoire portugaise et tapissé de champignons indiens. Il se souvint de Mozambique. La moisissure africaine y digérait la chaux de la chapelle du Rempart. Comme l’Afrique, l’Inde rejetait tranquillement les

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