L'arbre de nuit
avait raconté la légende de l’arbre de nuit, quand l’hiver tombait sur l’Atlantique.
*
Pendant qu’elle était à sa toilette et se brossait les cheveux, doña de Fonseca Serrão sut accidentellement, par une maladresse que, dans le courant de la nuit, Marianinha avait été appelée dans la chambre de son mari. Elle apprit ensuite dans un flot de larmes de l’esclave que ses deux autres femmes avaient leur jour ou plutôt leur nuit auprès de leur maître. La brosse en argent partit à la volée.
— Pourquoi m’as-tu frappée, maîtresse ? Tous les maîtres font ainsi à Goa. C’est la coutume, et puis c’est quoi une esclave ? Ça ne compte pas. Je t’aime bien et tu es méchante avec moi. Tu m’as fait mal. Ma joue sera tout enflée demain. Et dom Alvaro va être furieux contre moi.
Margarida faillit lui demander dans sa rage froide si elle avait pris du plaisir à faire l’amour. Elle planta ses ongles dans les accoudoirs de sa chaise à bras quand elle réalisa qu’elle était en train de faire une scène de jalousie à une esclave. L’humiliation la tétanisa et elle contint sa question. Pouvait-elle être jalouse de la jeune Indienne ? Être furieuse et blessée ne la mettait pas au-dessous de son rang, mais extérioriser son désarroi et se disputer avec une domestique achetée pour quelques pièces au Leilão n’était pas concevable. Elle devait encore apprendre à maîtriser ses gestes dans cette société hautaine dont les allures guindées cachaient des mentalités de filles et de soldats de fortune sous les brocarts de leurs accoutrements.
— Je t’ai frappée parce que tu ne dois pas parler de ces choses, petite gourde. C’est impertinent et très mal élevé. Je connais parfaitement les habitudes de Goa, et d’ailleurs mon mari me dit tout ce qu’il fait. Oserais-tu croire qu’il couche avec toi en cachette ? Petite sotte !
Là, elle allait un peu loin. Elle se mordit les lèvres. Laisser croire que son mari la mettait au courant de ses pulsions ancillaires la mettait dans une situation ridicule qui ne valaitpas mieux qu’une scène de jalousie. Elle espéra que l’Indienne n’avait pas remarqué la grosseur du mensonge et se replia.
— Je t’interdis de parler de cette histoire à dom Alvaro. Il serait vraiment très en colère. Maintenant, va-t’en. Je n’ai plus besoin de toi ce soir.
— Tu ne m’en veux pas, Maîtresse ?
— Fiche-moi le camp. J’ai mal à la tête.
Se construire une attitude à long terme.
Elle choisit de prendre le temps de réfléchir à l’avenir, et ne parla pas de sa découverte au cours du dîner. Elle anima même une conversation badine et animée sur la vie à Goa durant la mousson.
L’ange de François qui s’était attardé à visiter Goa et traversait par curiosité la demeure de dom Alvaro plongea un index connaisseur dans la marmelade de coings, une spécialité importée d’Ormuz, le suça, replia avec précaution ses ailes pour franchir la fenêtre et s’envola vers la lune en se frottant les mains. Il avait fort à faire à Goa mais sa mission, pas routinière du tout, devenait très intéressante.
Un jésuite accourait du fond de la galerie, moitié marchant moitié courant, en faisant de grands gestes dans leur direction, auxquels répondit Antão qui fit quelques pas vers lui. Il leur avait fait porter tôt ce vendredi matin une invitation à venir faire une rencontre intéressante à la maison professe. François et Jean pratiquaient très occasionnellement mais ils appréciaient tous deux de discourir librement sur la religion et sur l’Inde avec le jésuite et d’ailleurs avec tous les religieux ouverts au dialogue. Le pilier spirituel de Goa était bien plus subtil que le pilier fondé sur le poivre.
— Voici la surprise que je vous réservais : un Français de Rouen. Le père Étienne de la Croix, philosophe, théologien et linguiste renommé. Il arrive de Margão.
— J’enseigne modestement à sept lieues dans le sud, au collège royal de Salsète. Quel plaisir de rencontrer des compatriotes. J’ai déjà eu l’occasion d’aider le frère Gaspar Aleman, notre visiteur des prisons, à faire libérer François Pyrard. L’avez-vous rencontré ? Après François Pyrard et votre serviteur, vous débarquez à deux. La communauté française vient de doubler d’un seul coup.
Le père devait être un peu plus âgé qu’Antão, puisqu’il professait à Goa depuis sept ans. Il se
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