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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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une supériorité sur elle. Ici, près de se toucher la main, ils étaient séparés par quelques pas d’un vide plus absolu qu’un mur. Elle dans une belle résidence et lui dans les communs. Elle s’était dite inquiète de le voir à cet endroit, en train de faire quelque bêtise. Il se demanda si elle était déçue qu’il fût là par hasard, et non parce qu’il aurait eu la folie de chercher à la voir coûte que coûte. Il aurait voulu réfléchir et il n’en avait pas le temps. Il tourna la tête vers le fleuve.
    —  Nossa Senhora do Monte do Carmo . L’avez-vous reconnue derrière les cocotiers ? C’est si loin maintenant.
    — Je la regarde chaque jour, François. J’y ai vécu des heures graves. J’ai trouvé ici une vie de rêve, du moins je le suppose, mais pas au point d’effacer de ma mémoire une page très importante de ma vie. Une page très lourde à tourner.

    Il se demandait si Margarida lui déclarait qu’elle tenait à lui ou s’il n’était pas l’un des souvenirs à ranger précieusement. S’il entrait ou pas dans les heures graves qu’elle voulait sauvegarder. Le doute glaça la sueur qui coulait le long de son dos. Il se risqua à éclaircir ce point de la façon la plus directe.
    — Senhora… Je ne sais pas si c’est correct de vous dire cela. Je crois que l’un des quelques souvenirs heureux ou malheureux que je conserverai de ce voyage est de vous avoir rencontrée. En réalité, j’en suis certain.
    Elle fit semblant de s’interroger sur le sens de sa déclaration et elle le relança avec coquetterie.
    — J’espère être inscrite dans les pages heureuses de votre journal personnel.
    — Vous êtes mon plus beau souvenir de voyage. Vous m’avez dit des mots très forts au moment où nous nous sommes quittés à bord. Vous étiez libre, je veux dire indépendante à ce moment. Maintenant, bien sûr, nos relations ne peuvent plus être aussi directes et confiantes. Je le comprends très bien.
    La jeune femme sur son balcon éluda une seconde fois sa déclaration besogneuse et la retourna d’une pirouette.
    — Les Indiennes sont réputées pour leur beauté. Est-ce votre avis, François ? Goa a la réputation d’être une ville très... chaude ? C’est ça ?
    — Il est vrai que les Indiennes sont bien faites.
    Il pensa élégant de monter le niveau de ses réflexions et de placer le débat sur un plan digne et neutre.
    — Les prêtres les trouvent trop aguichantes. Ils se lamentent d’ailleurs du danger qu’elles constituent.
    Elle le prit à contre-pied.
    — Ils se lamentent ? Les saints hommes ! Pas autant je suppose que les épouses légitimes des coureurs de beautés exotiques. Avez-vous déjà succombé aux charmes de Goa ? On dit que les femmes y sont folles des Blancs.
    Il sentit ses joues rougir d’un coup de chaleur et il fut heureux que la distance cachât son trouble. Il se demanda si la question était agressive, inquiète ou juste amusée. Il ne mentirait pas en répondant non, et il pensait de toute façon qu’elle ne le croirait pas. Asha était déjà très présente dans son quotidien et elle avait la vocation d’être une amante à très court terme. Il se sentit coupable d’un mensonge par tentation. Ce n’était pas le mot exact. Il récapitula en hâte. Je confesse , etc. et à vous mon père, d’avoir péché par pensée, par action et par omission . C’était ça. Action, pas encore. Omission, non, encore que ce serait une solution. Omettre volontairement ne serait pas un oubli mais un mensonge. Il choisit de mentir par pensée. C’était une superbe excuse. En fait, puisqu’elle avait un nouveau mari, ils étaient largement quittes.

    Une servante apparut sur le balcon, chercha sa maîtresse du regard sur la droite puis sur la gauche, et se rapprocha d’eux en courant. Elle le dévisageait avec étonnement.
    — Votre bain est prêt, maîtresse.
    La jeune femme sursauta et se retourna à demi.
    — Je viens, Marianinha.
    Elle revint vers lui.
    — Les maris sont férocement jaloux à Goa. Marianinha m’est fidèle et sûre. Si dom Alvaro apprenait notre conversation amicale, votre visage déjà abîmé deviendrait méconnaissable. Dans le cas où il serait particulièrement bienveillant. S’il était vraiment courroucé, vos amis fleuriraient votre tombe et la mienne dès le retour de la saison des fleurs. Bonsoir, François.
    Elle s’éloigna dans l’ombre et disparut, comme le jour où il lui

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