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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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envahisseurs, sanshâte mais avec la certitude d’y parvenir un jour ou l’autre. Il entreprit de commencer jusqu’à la nuit à épousseter son domaine, et à le ranger pour dégager une table de travail qu’il tira sous l’une des ouvertures.

    Quand il sortit sur la galerie en étirant ses courbatures, le paysage avait viré au jaune sous le soleil de la fin du jour. La Ribeira das Galés s’étendait à ses pieds jusqu’à la Mandovi. Il compta douze galiotes d’une vingtaine de bancs, alignées démâtées sur des chantiers perpendiculaires au fleuve, leurs proues effilées tournées vers lui. Elles étaient à des stades divers de réparation. Une vingtaine de galiotes et cinq galères à vingt-cinq bancs étaient au mouillage, embossées entre des coffres, collées l’une à l’autre, la plupart recouvertes d’un taud. Une soixantaine de bateaux constituant le reste des deux flottes du nord et du sud devaient hiverner à Cochin ou à Ormuz.
    Sur la droite, les mâts de Nossa Senhora do Monte do Carmo dominaient les cocotiers touffus de leur verticalité sèche. Il l’avait complètement oubliée. Les voyageurs disaient vrai. Dès l’arrivée en Inde, les peines du voyage sortaient de la mémoire. Maître Fernandes, son intercesseur bienveillant, avait disparu lui aussi derrière Gaspar Salanha, le nouveau maître goanais qu’il lui avait offert. Ses amis et ses relations de voyage étaient déjà remplacés par d’autres visages. Goa s’imposait avec force et le passé méditatif et nostalgique cédait à la prégnance du présent dynamique.

— François ? Que faites-vous ici ? Comment êtes-vous entré ?
    Il se retourna vers la voix qui l’interpellait. Sur le balcon du bâtiment voisin, Margarida était penchée vers lui à en basculer par-dessus la rambarde. Elle serrait sur sa poitrine un châle de mousseline blanche. Les souvenirs qu’il était prêt à ranger revinrent d’un coup. Il était stupéfait. La forme blanche lui remit en mémoire l’apparition noire et parfumée de l’après-midi des dauphins, quand Margarida était venue s’accouder au plat-bord près de lui. Sauf qu’il était aujourd’hui du côté des dauphins.
    — Senhora ! Je vais travailler ici plusieurs jours à régler des aiguilles marines. Mais vous-même, que faites-vous toute seule sur le balcon de cette maison ? Vous y êtes occupée ?
    Il prit aussitôt conscience de la stupidité de sa question et s’en mordit les lèvres.
    — J’ai craint en vous voyant là que vous ne soyez en train de faire quelque bêtise. Moi ? Je n’ai absolument rien d’autre à faire que d’habiter ici.
    Elle compléta.
    — Avec mon mari. Savez-vous que je suis mariée ? Depuis – elle compta sur ses doigts – douze jours déjà. Je m’appelletoujours doña da Fonseca Serrão, mais j’ai changé d’époux. C’est drôle. Non ?
    Il bredouilla une formule de compliment qui la fit rire.
    — Vous faites une drôle de tête.
    Il se méprit sur sa remarque.
    — Et encore, mes ecchymoses se sont dégonflées. J’ai été arrangé comme cela dimanche dernier, juste après vous avoir croisée à Sào Francisco de Assis. J’ai été sauvagement agressé par les sbires du sous-intendant de la Casa da Moeda.
    — Matos Macedo ? C’est une relation de mon mari. Je ne sais pas en quoi vous l’avez dérangé, mais je trouve dom Henrique très antipathique. Vous le confirmez. Pardonnez-moi. D’ici je n’avais rien remarqué à contre-jour. Je vous ai mis en garde le jour de notre arrivée. Vous en souvenez-vous ?

    François était décontenancé. Il savait que la jeune femme était arrivée à Goa pour épouser son beau-frère, et il avait d’ailleurs aperçu dom Alvaro sur le tillac, quand il était venu la chercher à la barre de l’Aiguade le jour de l’arrivée. Mais il ne s’attendait pas à ce qu’elle fût déjà mariée.
    Il faillit lui demander si elle était heureuse, mais il réalisa que cela serait incorrect. Il se tut. En fait, il était très gêné de cet aparté impromptu dans un cadre accidentel qui n’était pas à son avantage. Cette rencontre était tellement différente de celles qui les avaient rapprochés sur la caraque, quand ils partageaient le même espace à survivre. À bord, toute passagère de marque qu’elle était, ils étaient sur un pied d’égalité. Il était même dominateur parce qu’il était un professionnel de la mer, et elle non, ce qui lui conférait

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