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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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semences. Quelques pincées de ces graines mêlées à du poivre et à des feuilles de bétel avaient un effet fortement diurétique. On en faisait ici un usage trop souvent abusif. Elle poussait en quantité au Malabar. Prise avec du vin, cette poudre provoquait un profond sommeil traversé de songes et d’hallucinations violemment colorés. On la nommait herbe aux fous aux Maldives. On trouvait en Nouvelle Espagne une cactée nommée mexcalli ou peyotl dont on extrayait un suc procurant lui aussi des hallucinations colorées. Son administration nuancée trouvait à Goa beaucoup d’emplois crapuleux comme voler les maîtres ou tromper les maris. Celui qui avait absorbé du datura restait plongé dans l’inconscience, secoué par une hilarité d’imbécile, pendant cinq, six ou vingt-quatre heures selon les doses ingérées. Quand les femmes entendaient jouir impunément d’un amant, elles administraient de cette semence à leur époux, mêlée à du vin ou à un potage. Une heure après, le malheureux perdait connaissance et jugement. Il tombait dans un délire béat, sans plus savoir ni ce qu’il faisait ni ce qu’il voyait, puis s’endormait profondément. Il aurait tout oublié au réveil.

    Prêtant d’abord un intérêt poli au dialogue savant, François portait une attention croissante aux effets du datura.
    — Dites-moi, messieurs les savants docteurs, cette herbe hallucinogène est bigrement généreuse, si elle procure des sensations jubilatoires et permet indirectement de recevoir ses amants en toute impunité. Quel formidable outil de jouissance.
    — Pas seulement. Cette drogue est aussi un poison. À forte dose, elle peut provoquer la mort. On s’en sert couramment pour se débarrasser d’un ennemi ou d’un gêneur.
    François jeta un regard à Jean qui lui rendit une moue appréciatrice du danger.
    — J’en traite les effets en l’évacuant par tous les moyens d’extraction des principes nocifs, ventouses, cataplasmes, vomitifs, purgatifs, bains chauds et frictions violentes des jambes et des bras.
    Ils rangèrent le datura et disputèrent doctement des vertus réelles ou supposées du pissat de vache. Considéré comme un fortifiant par les médecins indiens, l’hôpital du Roi avait décidé de tester l’effet du pissat sur ses convalescents en en versant dans les tisanières. Le tollé avait tourné à l’émeute. Sitôt éteint le début d’incendie causé par le bris d’une lanterne, le père surintendant avait exigé que l’on arrêtât l’expérience.

Au moment où Jean et le brahmane discouraient de plantes médicinales au crépuscule, Margarida était à sa toilette, dans son casaquin transparent d’intérieur. Ses femmes lui brossaient les cheveux pour le souper. Elle avait ôté sa rivière de rubis qui la décorait à la messe, et portait un seul rang de perles.
    — Vois comme notre maîtresse est jolie, Marianinha. Ne croirait-on pas doña Paula ?
    — Qui est cette belle dame, Talika ?
    Les deux métisses s’écrièrent en chœur :
    — C’est une sirène, maîtresse.
    — Une sirène ? M’expliquerez-vous cette bizarrerie ?
    — Doña Paula était une dame jeune, cultivée et jolie. Elle faisait la lecture à un gouverneur de Goa. Bien sûr, ils devinrent amants. C’était obligé d’arriver. Un jour, l’épouse les découvrit et en devint folle furieuse. Cette méchante femme ordonna de dévêtir Paula, de lui attacher les bras et les jambes et de la jeter à la mer du haut d’une falaise. Elle accepta quand même sa supplication de conserver son collier de perles auquel elle tenait comme à un gage d’amour.
    — Cette dévergondée avait le front de demander à une femme de conserver au cou un cadeau du mari qui la trompait ?
    — Ah non, maîtresse. Pas du tout. C’est son confesseur qui le lui avait donné.
    — Un prêtre ! Elle avait reçu un cadeau d’amour d’un prêtre ! Mais quelle horreur ! Votre histoire est affreuse. Dieu me garde de ressembler à cette femme impudique.
    Les deux métisses étaient bouche bée.
    — Mais, maîtresse, c’est une belle histoire d’amour. Pourquoi es-tu fâchée ? Tout le monde aime dona Paula à Goa. Elle est devenue une sirène. Donc, c’est presque comme une sainte.
    — Une sainte ! Grand Dieu ! Tu dis n’importe quoi. Qui t’a appris ce catéchisme ? C’est une légende. Des sornettes bien peu édifiantes que vous ne devriez pas colporter comme des pies.
    — C’est

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