L'arbre de nuit
consacrait à l’étude de l’hindi et des langues locales, le malayalam du Kérala, le marathi parlé dans le Maharastra, et le konkani d’écriture latine, spécifique à Goa. Il était volubile et ses yeux bleus pétillaient d’enthousiasme. Jean lui confirma que Pyrard avait fait son éloge et que le gouverneur lui-même venait de leur signaler sa présence bénéfique à Goa.
— Ils sont trop indulgents. L’une des difficultés que le Seigneur nous impose est que l’on parle seize langues différentes au collège São Paulo. On aurait recensé dit-on plus de mille dialectes indiens !
Francisco Xavier exigeait le contact direct avec les gentils. Le truchement d’interprètes empêchait de suivre ce précepte, faisant obstacle aux conversions raisonnées. Dès le premier concile provincial tenu à Goa, l’évêque avait ordonné que nul catéchumène ne serait baptisé sans avoir été instruit dans sa langue des articles de la Sainte Foi. Le baptême des adultes devait être volontaire.
— Le Christ ne s’est pas beaucoup exprimé en hindi, remarqua Jean, aussi dubitatif que François.
— C’est à nous de le traduire.
— Étienne a raison. Il est vrai que nous avions jusque-là baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit à en avoir les bras fatigués selon les propres termes de Francisco Xavier. Il recommandait de mettre beaucoup de diligence à baptiser les enfants dès leur naissance. Lui-même est crédité de trente mille baptêmes en dix-huit mois. Un jour, quatre prêtres ont baptisé à São Paulo trois cents catéchumènes le cierge à la main. Ce n’était pas une exception, parce que la chasse aux orphelins reste un souci constant. Nous les baptisons encore par centaines.
François était perplexe. Il se demandait si Antão était critique ou admiratif en énonçant ces performances effarantes.
— Les nourrissons convertis par fournées et les adultes volontaires comme tu les nommes, frère Étienne, restent-ils attachés à leur nouvelle religion ?
Antão soupira et fit la moue.
— Pas toujours. C’est difficile à estimer. Nous sommes relativement confiants en la force du message du Christ et dans l’exemplarité des valeurs que nous inculquons aux idolâtres. Nous savons bien que quelques conversions de façade ont pour seule motivation l’acquisition d’avantages matériels. La sincérité de l’engagement chrétien n’est pas donnée à tous.
— Il est vrai aussi, compléta le frère Étienne, que quelques-uns de nos convertis ne résistent pas longtemps aux rebuffades de leur communauté. Et que certains s’adonnent en cachette aux pratiques idolâtres à titre de précaution. Tout Indien peut s’affirmer librement hindou ou musulman, sous réserve de ne pas pratiquer sa religion. Par contre, les nouveaux chrétiens retombés dans la perversion sont traqués par les inquisiteurs qui terrorisent la population. Le Saint-Office est plus puissant à Goa que partout ailleurs.
Jean saisit l’opportunité de rebondir sur les pratiques indiennes sur lesquelles il n’osait pas trop questionner des prêtres.
— Comment avez-vous engagé la catéchisation des Indes ?
Naïvement, Vasco de Gama et les héros du voyage historique avaient d’abord pris d’un commun accord les Indiens pour de bons chrétiens. Ils avaient remarqué comme une curiosité culturelle une figuration agitée de la Vierge aux multiples bras. Ils s’étaient esclaffés des dents pointues, des rictus et des langues pendantes des monstres grimaçants objets de la vénération des foules idolâtres, qu’ils prenaient pour des saints revus à la manière indienne. Ils avaient peut-être été trompés en découvrant parmi les hindous des membres de très vieilles communautés chrétiennes du Tamil Nadu et du Kérala, respectées pour la pureté de leur religion. Elles avaient été converties au VI e siècle par des hérétiques nestoriens venus de Syrie ou peut-être par saint Thomas lui-même. Cela prêtait à confusion.
— Aussitôt passée la première émotion des Indes, nous avons très vite compris que les Indiens étaient idolâtres. Albuquerque resta d’abord très souple quant à la religion desgentils, interdisant seulement les satî, l’immolation rituelle des veuves par le feu. La pratique se perd Dieu merci mais l’acte reste banal.
Le père Étienne opina de la tête.
— Cette crémation vive perdure. C’est incompréhensible. Malgré toutes les
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