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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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et à tremper les aiguilles après leur passage au feu.

François arriva à l’heure dite au Terreiro dos Galos quand fermaient les échoppes. Ce samedi 6 juin, le brahmane était parti avec sa Chinoise pour Carambolim, en pèlerinage à l’un des rares temples consacrés à Brahma. Il avait le souci d’honorer l’Entité suprême, un peu négligée dans les prières parce que moins populaire que Shiva et Vishnou, les deux autres membres de la trinité initiale. Jean était éloigné par une expédition naturaliste exploratoire dans la campagne desséchée. Son but était de repérer les sites prometteurs à la saison des pluies. François se réjouissait de cette conjoncture heureuse qui le rendait maître de leur demeure.

    Asha se débarrassa du petit Vyan en l’envoyant renouveler la provision de charbon de bois aux charbonnières de Mata Vacas. François fut stupéfait quand la jeune Indienne refusa catégoriquement de le suivre chez eux à deux pas, rue du Crucifix, bien qu’il l’eût assurée que la maison était vide.
    — Je n’y poserai pas le pied, même en l’absence du chirurgien.
    — Crains-tu quelque humeur maléfique liée à ses pratiques de la médecine ?
    — Non, François. C’est la demeure d’un brahmane.
    — Et alors ? Bashkar voyage en ce moment en dehors de l’île de Goa. Il n’en saura rien.
    — Je ne franchirai pas son seuil.
    Elle laissa passer un silence, et ajouta en parlant très vite, d’un ton agacé :
    — Je rendrais cette demeure impure si j’y faisais l’amour avec toi.
    — Tu es jeune et jolie ! Quelle souillure te serait attachée par principe en prenant du plaisir ? C’est absurde.
    Elle prit une voix sévère d’institutrice morigénant un élève dissipé, et lui fit savoir qu’ils iraient sans discussion chez ses parents, dans le quartier des pêcheurs.
    — Tu n’as pas à porter un jugement sur le dharma. C’est la loi du bon ordre de l’univers. Comme tous les farangi, ça te dépasse. Si tu veux comprendre un peu Goa, tu dois au moins essayer de comprendre comment est organisée notre communauté. Non ?

    Elle confectionna un gros bonbon qu’elle expliqua être une boulette d’un mélange de noix d’arec et d’onny, de la coquille d’huître réduite en poudre, entortillée dans une papillote en feuille de bétel. Elle lui tendit. Il le refusa, s’agaçant de voir à longueur de journée tout Goa mâchouiller cette mixture et recracher une salive qui rougissait les gencives et jonchait le sol d’éclaboussures sanglantes. Elle insista gentiment, lui expliquant que non seulement le bétel soignait les dents et donnait bonne haleine, mais qu’il était aussi un excitant amoureux léger. Au demeurant, aucun homme ni femme à Goa ne ferait l’amour sans avoir d’abord mâché du bétel. C’était donc à prendre ou à laisser.
    Il prit.

    Ils descendaient côte à côte la longue avenue des Naus d’Ormus qui conduisait à la Mandovi en aval de l’arsenal, lui, mastiquant son examen de passage avec une application prudente. C’était curieux, chaud et frais à la fois, et pas désagréable. Pour le moment, il ne ressentait aucune excitation particulière. À cette heure de soleil intense, la voie étaitdéserte. Portant trois calebasses empilées sur sa tête comme si de rien n’était, Asha s’était lancée avec volubilité dans une dissertation compliquée qui lui traversait les oreilles sans y laisser de trace, car il l’entendait sans l’écouter vraiment, concentré sur son initiation au bétel. Elle s’arrêta brusquement de marcher, déchargea ses récipients, et lui fit face.
    — Mon jatî a été déterminé à travers mon cycle cosmique par mon karma. Toi aussi, tu as ton jatî. Même si tu ne le sais pas parce que vous, les farangi, qui êtes tellement puissants, vous ne percevez même pas les rythmes de la nature. À se demander si vous êtes aussi intelligents que vous le dites.
    — Je te croyais catholique.
    — Ça n’a rien à voir avec la religion ! Tu es bête ou quoi ? Tu fais semblant ou tu te moques de moi ?
    — Que cela ait à voir ou non, ça m’étonnerait que j’aie un jatî.
    — Ne plaisante pas.
    — Mon ami Antão, un jésuite, m’a déjà expliqué vos galimatias autour des castes. Ce partage systématique préétabli de la société n’existe nulle part au monde que chez vous. Que tu le veuilles ou non, il n’est pas chrétien.
    — D’abord, ce sont vos

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