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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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rouvrir mes plaies.
    — Tu es répugnant. Mes parents sont furieux et moi je suis mortifiée devant eux et devant mes cousines de t’avoir amené sous notre toit. Pourquoi m’as-tu fait un tel affront ?
    — Quel affront ? Que vous prend-il tout d’un coup ?
    — Tu as porté ce bol à ta bouche.
    — Je commençais à goûter en effet cette fameuse eau de Banguenim que l’on dit incomparable. Et alors ?
    — Et alors, maintenant, il est yechhal. Impur. Tu devais laisser couler l’eau dans ta bouche sans que tes lèvres touchent le bord. Le plus misérable des harijan sait ça.
    — Encore vos crises de pureté ! Ton père accepte apparemment sans la moindre objection de me prêter sa fille pour en jouir. Il semble même heureux et honoré de cela. D’un autre côté, il s’affole à en mourir que ma bouche effleure son bol. C’est bien ça ? Vos mœurs sont celles de sauvages privés d’amour-propre et de raison.
    Il regretta aussitôt ces mots, mais ils étaient lâchés et puis, de toute façon, il était très fâché lui aussi.
    — Moi une sauvage ? Tu me méprises parce que je suis une Indienne qui te propose de faire l’amour avec elle ? Veux-tu humilier ma famille ? Sale farangi !
    — Asha !
    Elle était hors de tout contrôle.
    — Parfaitement. La règle de notre vie est fondée d’abord sur la pureté de la pensée, des actions et des gestes. Et sur la propreté du corps. Et nous sommes devenus chrétiens en accord avec ces préceptes qui nous sont communs. Au moins pour la pensée et les actions, parce que pour le reste il n’est pas difficile d’être plus propres que vous, qui ne vous lavez jamais et qui entrez dans vos églises sans ôter vos souliers qui ont marché dans les bouses et dans les détritus.
    Les yeux plissés, le nez froncé d’un air dégoûté, à gestes alternatifs des bras, mains à plat, elle mimait des pieds traînant dans la fange.
    — Vous ne distinguez même pas votre main droite pour la nourriture de votre main gauche souillée par les excréments. Vous crachez par terre et vous sentez mauvais. Vous êtes vraiment pires que des porcs. Il doit être terriblement crasseux et puant, ton pays si lointain qui te rend tellement prétentieux.

    François supportait mal ces critiques d’une petite Indienne, d’autant plus vexantes qu’elles étaient fondées. Il était très énervé lui aussi. Depuis qu’ils s’étaient retrouvés ce jour-là, Asha compliquait tout pour des raisons sans queue ni tête.Elle était lancée dans une conversation véhémente en hindi avec son père. Sa barbe et ses cheveux d’un noir luisant suggéraient qu’il était dans la force de l’âge, malgré une maigreur ascétique et des yeux creux de vieil ermite. Il portait le dhoti élémentaire drapé entre ses jambes maigres dont on suivait chaque nerf et chaque vaisseau sanguin, mais une chemise de coton blanc et des sandales à lanières de cuir le distinguaient ostensiblement du petit peuple dont les hommes vivaient uniformément pieds et torse nus. François se tenait bras croisés à l’écart, partagé entre gêne et irritation. Au bout de ce qui lui sembla être un plaidoyer mêlé d’une dispute tempérée de respect filial, l’Indienne se retourna vers lui, radoucie. Elle joignit ses deux mains dans le geste d’un namaskar d’armistice.
    — Sagar vient de réaliser que tu n’es pas informé de nos coutumes, et trop maladroit pour boire sans renverser de l’eau partout et te rendre ridicule. Il te pardonne surtout parce que tu viens de débarquer d’un long voyage en mer que lui-même qui est marin n’a jamais accompli. Il te respecte pour cela. Il te renouvelle son hospitalité sous son toit puisque tu es mon ami. Ce n’est pas vrai que tu sens mauvais. J’ai dit cela parce que j’étais très déçue. Viens. On oublie.
    François pensa diplomatique et poli d’imiter le geste de salut en direction du père, et prit la main d’Asha. Ils traversèrent l’enfilade des trois pièces qui partageaient la maison. Le mobilier se réduisait à quelques jarres de conservation alimentaire et à deux coffres de rangement dont les pieds reposaient dans des écuelles remplies d’eau pour piéger les fourmis. Le sol de terre battue et polie était jonché de nattes sur lesquelles étaient retournées s’accroupir en rond les femmes et les fillettes. Occupées à écosser des graines ressemblant à des lentilles, elles laissaient courir leurs mains

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