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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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est vexé ! Toi, ce n’est pas pareil, François. Mon confesseur va condamner mon amour pour toi. Il serait content d’être à ta place, tu sais ? Il me fait durer bien longtemps pour des péchés même pas véniels. Il dit qu’il faut qu’il les élucide pour déterminer une pénitence bien adaptée. Là, quand je vais me confesser pour nous deux, il va me faire dire au moins dix dizaines de chapelet pour que je reste un bon bout de temps dans l’église. Et puis ce sera réglé entre le Seigneur et moi.
    Elle fit le geste large de se débarrasser les épaules d’une charge encombrante, sans altérer l’équilibre parfait de tout ce qu’elle portait sur la tête.
    — En Inde, t’aimer malgré ton varna compliqué ne me fera pas réincarner dans une souris. Ne t’inquiète pas pourmon âme. Je peux faire tout ce que je veux avec toi, ça ne compte pas, ni pour mon présent, ni pour mon futur.
    Tout en étant sensible à une démonstration qui renforçait son désir tendre, François était un peu vexé de sa transparence.
    — La haute estime dans laquelle tu me portes me touche infiniment. Je suis en somme encore moins qu’un harijan qui n’est rien. C’est bien cela ?
    — Ne sois pas bête toi non plus. Tu sais très bien ce que je veux dire. Pour nous, l’union d’un homme et d’une femme est un élan vital venu du cœur pour faire le bien. Mais le métissage des varna est une faute contre l’ordre naturel.
    François en resta pantois. Asha parlait comme un livre. Elle eut le dernier mot en lui tendant finement un piège qui l’obligea à éclater de rire.
    — Tu as voyagé si longtemps avec des fidalgos sur ton bateau. Tu as sans doute beaucoup d’amis maintenant.
    — Quelques-uns. Certains sont morts. J’ai lié amitié avec le pilote-major. Et surtout avec le frère Antão, un véritable ami.
    — Et avec les autres farangis ? Vous étiez combien à vivre ensemble.
    — Tu sais, nous avons voyagé ensemble mais séparément.
    — Ah bon ? Dis donc, vos castes ne se mélangent pas beaucoup elles non plus. Vous ne faites pas vous aussi des galimatias comme tu dis ?
    En approchant du faubourg bordant le fleuve, elle lui expliqua en tournant la tête et les calebasses vers lui pour le regarder de face que sa famille vivait honorablement de la pêche et que son père et ses deux frères gagnaient très bien leur vie. Pêcheurs réputés, fournisseurs attitrés du couvent des augustiniens, ils étaient même assez riches pour posséder un bateau en propre avec tous ses filets et éperviers et pour appointer quatre marins. Une almadie, précisa-t-elle avec fierté en articulant avec soin, avec laquelle ils approvisionnaient en eau les caraques portugaises à l’ancre pendant l’hivernage, quand la grande mousson interdisait de sortir pêcher au large. Le bassinde la Ribeira grouillait de sardines, mais c’était un fretin méprisé par les professionnels.
    La rue de la corporation des pêcheurs débouchait sur l’avenue en bordure du chantier naval. Son ouvert était planté d’une croix en pierre au pied de laquelle quelques bouquets de marguerites brunies par la dessiccation donnaient l’impression d’avoir été déposées là par les gestes votifs d’un culte disparu. La famille d’Asha habitait près du carrefour, dans un ensemble de maisonnettes en bois peintes à la chaux, rehaussées d’ocres rouge et jaune. Elles tranchaient sur les misérables cabanes qui leur faisaient suite. Leur alignement de guingois se perdait dans un lointain grisâtre mais lumineux. Le ciel a la charité de teindre en argent le bois brut abandonné par la misère ou l’oubli à ses intempéries. Le quartier était planté de cocotiers, l’arbre parfait qui filtre le soleil et laisse passer le vent.

    — Tu me fais honte !
    Asha était hors d’elle. Ses yeux sombres avaient viré au noir de jais, pailleté d’éclats d’intense réprobation. La mère et une petite colonie de femmes et filles qui se pressaient autour d’eux avaient quitté la pièce dans un envol coloré et glapissant. Frémissant d’indignation, le père venait d’arracher en silence le gobelet de cuivre d’un geste mesuré mais brutal de la main gauche. Un geste d’infamie. François réagit avec colère, se massant la mâchoire.
    — Quelle mouche a piqué ton père, Asha ? Il m’offre de l’eau avec gentillesse et il me la retire aussitôt des mains, les yeux fous, en manquant me casser les dents et

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