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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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l’attendre à proximité en guettant ses signaux pour le retour. À la rapidité de son ascension, il se sentit un vieux marin.

    Le tillac était barré de l’énorme vergue que l’on avait descendue sur des chevalets au niveau du plat-bord pour soulager la mâture et donner moins de prise au vent. Elle était enveloppée des replis de la grand-voile ferlée sans grand soin et grossièrement recouverte de prélarts goudronnés. L’énorme paquet dépassait de plusieurs toises des deux côtés de la caraque. Le pont laissé libre était encombré de cordages en vrac, d’emballages vides, d’ordures et de haillons. Les figurants qui tenaient naguère la scène avaient disparu, rendant plus pathétique ce décor réaliste de cour des miracles. Une meule de paillasses jetées en tas pourrissait au pied du grandmât en dégageant une puanteur aigre. Des blattes couraient tout autour, affairées, maîtresses d’un territoire en désordre d’une richesse infinie. Un rat passa en trottinant, serein puisque la saison de la chasse à son peuple était fermée. Il se coula dans la grande écoutille.
    L’équipage et les passagers avaient fui le navire dès qu’ils avaient été autorisés à le faire, comme la panique vide une ville investie par la peste. Ils avaient laissé à leurs successeurs le soin de faire le ménage de cette bauge si bon leur semblait ou de mettre le feu à tout cela. Ce n’était plus leur problème. Eux en avaient assez fait et on ne les y reprendrait plus. Pour l’instant tout au moins car, qu’ils le veuillent ou non, dès qu’ils avaient posé le pied en Inde, leur destin s’était résumé en une abominable alternative. Ils avaient le choix de mourir à Goa ou d’affronter une nouvelle traversée des enfers. L’aller entraînait un retour et le retour était encore plus dur que l’aller disait-on. Dans l’encombrement extravagant des cales et des ponts, les quintaux de poivre et de girofle entassés à portée de la main allaient attirer les pirates comme le miel les mouches, et feraient naître à bord des appétits obsessionnels. Les loqueteux rentrant les poches vides, la haine au cœur et la rage au ventre envieraient jusqu’au crime les bourses rebondies des nouveaux riches. Les gabiers rapetasseraient continûment le gréement pourri par les pluies de la mousson. Les bateaux démantibulés par la mer prendraient l’eau de toutes leurs coutures. Oui, le retour serait pire que l’aller.

    Quelqu’un avait arraché les toiles à voile qui fermaient leur réduit, laissant quelques lambeaux cloués à la cloison. Leur demeure n’était plus qu’une anfractuosité à l’abri des vents d’ouest. Il s’attendrit de retrouver cette caverne dans laquelle il avait vécu neuf mois coupés par l’hivernage à Mozambique. Un fourneau débordant de cendres indiquait qu’elle servait maintenant de cuisine aux gardiens. Des écuelles de terre, une marmite en fer et un panier d’oignons germés étaient entassés le long de la paroi éclaboussée par une giclée d’huile d’olive. François eut une bouffée d’indignation devant lesans-gêne des soldats, comme s’ils avaient occupé et saccagé une propriété personnelle.

    Deux soldats débouchèrent du gaillard d’avant et l’interpellèrent. Ils coururent vers lui en vociférant, se glissant avec peine sous la grand vergue, comiques et furieux d’être empêtrés dans les glènes de cordage et la voile en paquet. Son sauf-conduit n’eut aucun effet, probablement parce qu’ils ne savaient pas lire. Ils le poussaient par les épaules et les bras vers le plat-bord avec l’intention déclarée de le jeter à la mer. Il se débattit, criant qu’il exigeait de voir immédiatement leur chef, sous peine de déclencher la colère foudroyante du gouverneur en personne. La menace était simplette mais elle méritait d’être soupesée. Les gardes osèrent prendre le risque de déranger le sobresaliente.
    Le capitaine temporaire, un garçon de son âge prématurément vieilli, occupait très partiellement les appartements de la dunette comme il aurait porté un uniforme trop grand de plusieurs tailles. Son dos voûté, sa maigreur et sa peau diaphane révélaient une santé congénitalement précaire ou bien un trop long séjour en Inde. Ou la conjonction aggravante des deux. Ses cheveux noirs s’étalaient en désordre sur un front haut dont ils soulignaient la pâleur. Une moustache peu fournie que l’on aurait cru un

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