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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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visage levé vers le ciel annonçait le lendemain, comme une litanie, l’apogée de Mirg et l’arrivée de la mousson. François le dépassa en suivant les autres, puis retourna sur ses pas. Il lui mit une poignée d’arcos de cuivre dans la paume, refermant dessus sa main dans la sienne. Comme s’il lui confiait son avenir et ses secrets.
    Il venait par inadvertance de devenir un homme et il n’était pas certain que ce fût une bonne nouvelle.

Le Pelourinho velho était à un jet de pierre du cercle de jeu. Ouverte dans la journée aux petits marchands et aux sangradores, les barbiers soigneurs-saigneurs, la place devenait à la nuit tombée, quand les sergents avaient terminé leur service, l’endroit de toutes les transactions discrètes, des trafics louches et des recels. On appelait cela le baratilha , le « bon marché » d’objets à la provenance douteuse proposés par des vendeurs sur le qui-vive à des chalands peu curieux. Jean voulait profiter de cette opportunité pour se faire une idée sur la valeur de ses parures d’autruche qui constituaient toujours son seul capital et son trésor de guerre. Le marché de la nuit était une curiosité suffisante de toute façon pour les pousser à remonter la rue des Chapeliers en direction du vieux pilori.

    Une cinquantaine de lanternes posées par terre piquetaient la nuit de lueurs d’un orange vif, faisant paraître bleu le sol blanchi par la lune au premier quartier. Jean se fit passer pour un client potentiel auprès d’un Chinois en costume du Xinjiang. Sous un haut bonnet de feutre noir, il portait un manteau ouvert sur une chemise nouée sur le ventre par une longue ceinture de soie. Son pantalon bouffant était pris dansdes bottes de cuir noir. Dans ce vêtement viril, on l’aurait cru arrivant à l’instant des routes de la soie à travers les déserts et les steppes. Il proposait sur une natte des ivoires de Canton et quelques curiosités sans cesser de jeter des regards inquiets alentour. Il l’assura qu’il pourrait lui procurer d’ici huit jours une douzaine de plumes de la meilleure autruche pour cinq ou six xerafins. D’où Jean déduisit qu’il pouvait espérer obtenir des siennes une dizaine de pardaus xerafins au marché légal du Leilão.
    —  Carapuças !
    Le cri d’alarme fit éclater le marché furtif, qui s’éteignit et se fondit dans la nuit.
    —  Carapuças ! Carapuças !
    Le fier marchand des steppes emballa prestement ses ivoires qui disparurent sous son manteau. Il s’accroupit, bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, bras croisés et mains dans ses manches, se fondant comme une pierre dans la pénombre. Une troupe d’une douzaine d’hommes masqués venait de jaillir derrière eux de la rue des Chapeliers. Ils étaient couverts de longues capes que retroussaient des épées. Des visières de toile masquaient leurs visages sous leurs capuches. Ils avaient la silhouette inquiétante de pénitents noirs.
    Ignorant les deux Français restés debout sans réagir, la bande s’abattit sur un juif pétrifié, à qui ils confisquèrent une aiguière et deux plats en argent, lui arrachant sa bourse sous la menace d’une arquebuse appuyée sous le nez. Le malfrat qui le tenait en joue le frappa en pleine figure du canon de son arme et il tomba en arrière sans un cri. Les assaillants détalèrent aussitôt dans la nuit, s’enfuyant dans la Rua Grande en direction du faubourg de l’est. Leur cavalcade réveilla l’aboiement furieux de cent chiens poltrons dont aucun ne leur courut après. L’attaque avait duré le temps d’un clin d’œil.
    Jean accourut et se pencha sur la victime qui se protégea le visage des deux mains.
    — Ne craignez rien. Ils sont partis. Je suis médecin. Avez-vous mal ?
    Il ramassa la toque qui avait roulé à quelques pas et la tendit au marchand agressé. Il se releva péniblement, la mainsur le bas du visage. Du sang suintait entre ses doigts. Sous la lune, ils voyaient qu’il était livide.
    — Ils m’ont cassé les dents mais je dois être heureux. J’ai pensé qu’ils allaient me faire éclater la tête. Ils tuent souvent. Pour le plaisir.
    — Qui sont ces brigands ?
    — De simples soldats désœuvrés. Le visage caché sous les capuches de leurs carapuças, ils vivent de rapines et d’autres méfaits. Nul n’est à l’abri de leurs coups de mains sur le chemin de leurs équipées nocturnes, et malheur à la demeure qu’ils décident de prendre d’assaut à

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