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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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l’heure du souper.

    Les ombres revenaient une à une, les spadassins s’étant éloignés, et un petit attroupement se forma autour d’eux. Quatre à cinq mille soldats étaient l’une des plaies de Goa. Il y avait parmi eux des repris de justice enrôlés faute de volontaires, dont la justice avait été bien aise de se débarrasser. Quelques nobles avaient acheté l’abandon de poursuites criminelles en s’engageant à servir en Inde. Fidalgos, cavaleiros ou simples soldados selon leur rang avaient perçu lors de leur enrôlement à Lisbonne une cinquantaine de cruzados qu’ils avaient dépensés pour s’équiper, laissant le reste à leur famille au Portugal. Nourris par le roi durant la traversée, ils restaient sans solde pendant leur séjour à Goa, jusqu’à la reprise des opérations de guerre en octobre après l’hivernage de la mousson. Le boire et le manger leur étaient dispensés assez largement à table ouverte par l’archevêque, quelques seigneurs et gentilshommes comme le général désigné de l’armée du nord, dom Diogo Furtado de Mendonça, neveu du gouverneur. Les congrégations tenaient aussi table ouverte.
    Pour leur logement, la plupart s’étaient mis en ménages temporaires avec des solteiras, des célibataires. Ces métisses luso-indiennes filles ou veuves perdues de réputation parvenaient souvent à une enviable aisance qui leur permettait d’entretenir à demeure un soldat. Pour l’honneur et pour leur plaisir car tout homem branco , l’homme blanc, fût-il une crapule, avait la cote auprès des dames. Délinquants au pire, désœuvrés au mieux, manquant tous de ressources et tousaffolés par l’opulence de l’Inde, les soldats étaient à Goa des criminels en puissance. Leurs mœurs dépravées, leur morgue, leur irréligion et leurs sévices infestaient la ville pire que les maladies.
    — La police n’intervient pas ?
    — La justice a renoncé à les poursuivre tant ils sont dangereux quand ils sont menacés. Ils se défendent furieusement en jetant des bombes qu’ils emplissent de poudre à canon, et ils font tout sauter en l’air plutôt que se rendre. Ce sont des démons.

    Pyrard rentra de son côté. François et Jean regagnèrent la rue du Crucifix, chacun dans ses pensées. Au carrefour de la rue des Amoureux, Jean s’arrêta et rompit leur silence.
    — Après tout, personne n’a jamais prétendu que ce serait le paradis sur terre.
    François qui suivait à quelques pas revint à sa hauteur.
    — Pardon ?
    — Je disais que nul ne s’attend à trouver ici le paradis terrestre.
    — Pourquoi pas ?
    — Tout n’est pas forcément édifiant à Goa.
    — Non mais quant au paradis, on a tort.
    — Tort de quoi ?
    — De ne pas le chercher ici.
    — Ah bon ?
    — Il n’y a pas que l’or et le poivre dans la vie. Il faut réfléchir un peu, c’est tout.
    — Tu aurais une idée là-dessus ?
    — Peut-être.
    — Depuis longtemps ?
    — Déjà une dizaine de minutes.

    En rentrant dans la chambre, François trouva Louise dans son coin habituel. Il avait baptisé la blatte du prénom de la vieille chaisière de l’église Saint-Jacques. Du temps où, du coin de la bouche, tous les petits galopins comme lui la traitaient de punaise de sacristie en faisant mine de lui donnerun sou qu’ils ne lâchaient pas dans la corbeille qu’elle leur tendait en reniflant. Parmi cent cafards de toutes tailles allant et venant dans une incohérence apparente qui relevait d’une organisation mystérieuse du règne animal, Louise était remarquable par la constance tranquille de ses habitudes. De là était née leur familiarité affectueuse dont Jean avait vainement tenté de le dissuader en le mettant en garde contre des proliférations qui échapperaient à leur contrôle. Pris à témoin en tant que propriétaire des lieux, Bhaskar avait la même considération universelle pour les baratas que pour les feuilles des arbres et les oiseaux du ciel.

Le lendemain dimanche à l’entrée de la grand messe, fidèles et opportunistes mondains confondus avaient tous les yeux fixés sur une barrière de nuages gris qui montait dans le ciel derrière la tour des augustiniens. À l’ Ite Missa est , une lumière de crépuscule plongeait le parvis dans la pénombre au beau milieu du jour. Le vent mou depuis une semaine était tombé. Les pavillons du Portugal pendaient le long des mâts comme si la nation était en deuil. La chaleur oppressante

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