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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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j’étais déjà une Fonseca avant notre mariage ? Votre frère, qui n’était pas entiché d’une métisse, lui, m’avait déjà honorée du nom de votre famille. Je le portais déjà avant de vous épouser. Je me suis flattée grâce à lui d’amitiés qui ont atteint l’entourage du comte, maintenant marquis de Castelo Rodrigo. Le vice-roi du Portugal m’accorde une bienveillante affection pour des raisons accidentelles qui seraient trop longues à vous expliquer et qui, au demeurant, ne vous regardent pas.
    — Qu’en ai-je à faire ?
    — À faire ? L’alternative est simple. Ou bien vous me dispensez de votre plein gré de la retraite à la Serra, ou bien je rentrerai au Portugal à bord de la caraque de dom André. Il sera inutile dès lors de vous préoccuper de votre carrière. Sinon pour conserver au mieux vos fonctions actuelles qui sont déjà très honorables mais tellement fragiles, vous savez !

    Trois jours plus tard, à dix heures du matin, quinze galiotes conduites par deux grandes galères de guerre appareillèrent pour aller constituer la flotte du sud, encouragées par les carillons portant les vœux de bon voyage des congrégations. L’événement marquait la réouverture de la saison navigable et annonçait la reprise des opérations militaires. Devant la Ribeira das Galés, la Mandovi s’était couverte d’almadies enfoncées au-delà du raisonnable sous le poids de leurs passagers. Plus grandes et plus ornées encore de pavois et d’oriflammes, les manchuas à six ou huit rameurs des notables faisaient assaut de musiciens dans un vacarme d’instruments assez bien accordés à leur bord mais discordants dans leur ensemble. Le vacarme était apprécié par la foule amphibie qui applaudissait chaque morceau à tout rompre. Quand les galéasses et les deux galères levèrent l’ancre et se mirent en marche, leur stricte ordonnance impressionna les spectateurs. Les trente-quatre rangs de rames se levant et s’abaissant tout ensemble dans un ordre parfait étaient une démonstration rassurante de puissance et d’ordre. Une salve d’artillerie fit lever des milliers d’oiseaux qui obscurcirent le ciel et déclencha des vivats qui coururent tout le long du rivage derrière l’écho de la déflagration. La flotte pavoisée et sa colonie de suiveurs se perdirent dans le coude de la Mandovi et le calme retomba sur Goa.

    Margarida avait suivi le spectacle du balcon de sa véranda. Elle avait fait de la main un long geste d’au revoir qui ne s’adressait à personne. Il saluait son propre appareillage. Elle resta longtemps appuyée à la rambarde, les yeux sur le plan d’eau que traversaient lentement quelques embarcations déjàfatiguées, remontant le courant en sens inverse. Elle fit appeler le maître d’hôtel.
    — Fais préparer la quinta, José. Je m’y rendrai demain matin.
    — Vous y passerez la journée, Senhora ?
    — Je m’y retire jusqu’au retour de dom Alvaro. Marianinha et Talika viendront avec moi. Le garde et les jardiniers là-bas suffiront au reste. Je ne recevrai personne.
    — Vous emmenez Satish aussi ?
    — Tu as raison, j’oubliais le cuisinier. Tu n’as pas besoin de lui ? Je te confie la maison. Sois discret quand tu tricheras sur les comptes. Je les vérifierai moi-même à mon retour.
    — Je le sais, Senhora. Je me trompe toujours honnêtement.
    — C’est tout, José. Merci.

Avec le retour des beaux jours, ils avaient repris l’habitude de prendre l’air à la fraîche avec leurs logeurs, quand les ombres traversaient les rues et commençaient à monter le long des façades de l’adret de la rue du Crucifix. À droite, à gauche, leurs voisins étaient aussi dehors en devisant sur le pas de leur porte. Chaque soir, tout Goa faisait salon dans les rues. Ils étaient assis sur les fauteuils en ébène cannés que l’on qualifiait d’indo-portugais. Ils portaient à cette heure chemises et caleçons jusqu’aux chevilles et ils étaient coiffés de la gualteira, une courte capuche de velours couvrant les épaules. Bhaskar avait retiré sa tunique. Son cordon de brahmane barrait en diagonale son torse nu qui rendait incongrus ses pendants d’oreille. Une écharpe aussi blanche que sa barbe était noire créait l’illusion qu’une pièce de coton unique assurait à la fois le drapé de son turban et la culotte nouée à l’indienne entre ses jambes.
    Bien qu’elle fût située au cœur de la ville, la rue du Crucifix

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